EN DEUX MOTS : Il y a maintenant plus de 30 ans, le prodige David Fincher débutait sa carrière de metteur en scène douloureusement. Des problèmes de mainmise avec des studios frileux, qui sont principalement responsables de l’ensemble des projets avortés du réalisateur. Depuis 10 ans, celui-ci s’est donc exilé chez Netflix. Plateforme de streaming qui semble au moins lui donner carte blanche.
si 2024 signe la fin du contrat entre le réalisateur et la plateforme, Fincher dévoile aujourd’hui un exercice millimétré. Après un travail qu’il a qualifié d’épuisant sur des épisodes de séries TV, et surtout presque 3 ans après un film hommage qui a divisé le public, l’un des maîtres du thriller revient (enfin et véritablement) avec un projet qui résonne avec l’ensemble de sa filmographie.
Un tueur à gages, solitaire et froid, tue ses victimes méthodiquement, sans scrupules ni remords. Après un désastre évité de justesse, le tueur se bat contre ses employeurs et lui-même, dans une mission punitive à travers le monde qui n’a soi-disant rien de personnel.
Allociné
Adaptation d’une BD française éponyme, THE KILLER est un thriller sombre et perfectionné qui suit un tueur rigide. Une figure que le réalisateur connaît bien, même si cette fois il adopte intégralement ses phobies et ses habitudes. Un portrait aux méthodes exigeantes, qui se dévoile sous les traits de Michael Fassbender. Le talentueux acteur sort de sa petite retraite pour tourner (pour la première fois) sous la caméra de Fincher. Le résultat s’avère, lui, impressionnant de rigueur. Un nouvel exercice de style du réalisateur, glacial et sarcastique à souhait.
MILLIMÉTRÉ. PERFECTIONNÉ. CALIBRÉ. EXÉCUTÉ. SÉRIE B ?
« EXECUTION IS EVERYTHING », traduit sur l’affiche française par « Une bonne exécution, c’est capital ». Via cette préface condensé se résume parfaitement le nouveau thriller Fincherien. Un thriller d’1h59 où chaque minute compte et s’avère calibrée vers un objectif. Cela marque l’un des films les plus court du réalisateur, avec PANIC ROOM, qui était lui aussi un exercice de style. THE KILLER semble condenser toutes les phobies techniques de son metteur en scène, perfectionniste jusqu’au-boutisme.
David Fincher s’entoure encore d’une équipe technique qu’il connaît bien. Au scénario, il retrouve son collaborateur de longue date Andrew Kevin Walker. Notamment connu pour son script culte SE7EN, et qui avait collaboré avec le réalisateur sur plusieurs de ses films dans les années 90. Outre son chef monteur attitré – Kirk Baxter – le directeur de la photographie oscarisé (pour MANK) Erik Messerschmidt réitère son trait de génie à l’écran pour de multiples ambiances.
Avec les compositeurs récurrents Trent Reznor et Atticus Ross, pour la cinquième fois consécutives, chargés de la création de la bande originale, tous les voyants techniques sont au vert pour la mise en œuvre de THE KILLER.
« EXECUTION IS EVERYTHING« . Aujourd’hui, le méthodique réalisateur remplit son contrat, à l’image de son Tueur. Pour Netflix, pour le téléspectateur, pour le fan assidu. Dans une fausse forme de simple thriller, de fausse série B. En fallait il plus pour convaincre ? Difficile à dire tant le thriller se montre aussi percutant que déroutant dans sa démonstration. Toujours est-il qu’avec ce retour au Thriller pur, David Fincher renoue également avec un certain sarcasme qui lui est cher.
MÉTHODIQUE. TECHNIQUE. PRAGMATIQUE. SARCASTIQUE.
Depuis la nuit des temps, l’élite exploite la masse. C’est la pierre angulaire de la civilisation, le sang dans le mortier entre les briques. Coûte que coûte, il faut faire partie de l’élite, pas de la masse.
The Killer
Tel le viseur dans lequel « Le Tueur » de David Fincher observe des petites fourmis qui s’attellent à des tâches anodines, le téléspectateur découvre le modus operandi d’un homme rigoureux. Mutique mais bavard avec lui-même. La méthode, le credo, puis le mantra. Via l’outil de la voix-off, qui a largement fait ses preuves sur de nombreux films du réalisateur, notre Tueur sans nom, mais aux multiples identitées, dévoile ses pensées qui fusent au cœur de l’action. Qu’elle soit figée ou dynamique. Mais toujours empli de tension.
Ce faisant, réalisateur et scénariste renouent avec le sarcasme qui avait tant marqué l’œuvre culte de près an 2000 : FIGHT CLUB. À l’ère de la consommation individualiste, d’Airbnb, de MacDonald, où d’Amazon qui fournit des outils d’espionnage. Notre tête d’affiche suit une philosophie qui a fait ses preuves, 100 % du temps. Jusqu’à présent.
Respecte ton plan. Anticipe. N’improvise pas. Ne fais confiance à personne. Ne cède jamais le moindre avantage. Ne mène que le combat pour lequel on te paye. Bannis l’empathie. L’empathie, c’est de la faiblesse. La faiblesse, c’est de la vulnérabilité. À chacune des étapes, pose-toi la question : « Qu’est ce que j’ai à y gagner ? »
Le mantra du Tueur
Dans un autre clin d’œil au film du réalisateur cité ci-dessus, THE KILLER s’ouvre d’ailleurs sur un générique stylisé qui décortique les multiples méthodes d’assassinat d’un artisan de la mort. Un artisan pour qui le travail n’altère en rien les statistiques de la vie quotidienne où « à chaque seconde, 1.8 personne meurt. Et 4.2 personnes naissent pendant cette même seconde ».
Durant un premier chapitre d’une demi-heure passionnant, se déroulant dans la capitale française, Fincher superpose les idées de sa tête d’affiche avec le monde qui l’entoure. Sa mise en scène demeure éblouissante. Le montage, lui, alterne lenteur méthodique et agilité pragmatique. À l’image du tir raté du Tueur, chez le réalisateur, c’est une nouveauté. Et une nouveauté plutôt agréable qui va rythmer un récit linéaire et structuré.
MICHAEL. FASSBENDER. AKA « LE TUEUR ». GLOBE-TROTTER.
Paris. Saint-Domingue. La Nouvelle-Orléans. La Floride. New York. Chicago. À chaque chapitre, son environnement, sa lumière, son empreinte carbone – vu le nombre de miles que parcourt notre tête d’affiche.
Et passer inaperçu, même si c’est impossible au 21e siècle. Au moins, ne pas marquer les esprits. Rester calme, rester en mouvement. Mon camouflage s’inspire d’un touriste allemand croisé à Londres. Personne ne veut parler aux touristes allemands.
Sa propre description du camouflage
Selon ses mots, notre Tueur adopte un style lambda, atypique, pas très élégant, pour se fondre en ces lieux. La première partie (et chapitre) prend le risque d’éloigner le spectateur à la recherche d’action dans un genre habituellement nerveux. Il le fait en déconstruisant le mythe du Hitman qui empile les corps de façon stylisée. Non, notre Tueur tutoie l’ennui, la contemplation, la réflexion : en planque. Jusqu’à sa fuite de Paris.
Ici, et ensuite, le metteur en scène va expérimenter comme il l’a déjà fait par le passé avec quelques plans assez dingue, qui capte parfaitement ce que lui offre ses décors en tous genres, ou même le physique de l’acteur – au centre de chaque scène, quasiment de chaque plan.
Michael Fassbender était le choix le plus judicieux pour interpréter ce caméléon frigide. Pour son charme et sa nuance émotionnelle unique, jusqu’à la rigueur qu’il impose à son corps svelte. L’acteur demeure hypnotique, et cela faisait bien longtemps qu’il n’avait pas été aussi proche de la perfection.
Avant de se lancer dans une vendetta sur la côte Est des États-Unis, notre Tueur va se trouver ébranlé. Dès son deuxième chapitre (le moins bon) le film nous parle également par le biais de sa mise en scène. Perturbé et tremblante quand notre homme perd le contrôle de la situation. Ce qui fait le plus défaut à l’intrigue réside dans sa motivation au moment de la mise à sac de sa planque. Après cette mise en situation précaire, notre black mamba s’envole vers une nouvelle démonstration de rigueur. La chasse est ouverte.
OBSERVATION. PLANIFICATION. EXÉCUTION. LE VISAGE DE LA MORT
Fréquemment rythmé par le son des Smiths, que notre Tueur affectionne tout particulièrement, son parcours se fait d’observations, de planifications, d’exécutions. En contrepoids à sa bande-son pop, les deux compositeurs attitrés du réalisateur délivrent des notes graves, lancinantes, qui rendent l’ambiance du Thriller toujours plus latente. C’est loin d’être leur travail le plus marquant, mais celui-ci s’accorde à merveille à la rigueur du film.
Ses rendez-vous funestes sont aussi électrisants que glacial. La distribution secondaire s’avère maigre, mais diablement bien exécutée. (Ah, l’ironie !). De l’irrévérence de l’avocat (Charles Parnell), la terreur de la secrétaire (Kerry O’Malley), la fureur de la brute (Sala Baker), ou l’hypnotisme de l’experte (Tilda Swinton, délicieuse, toujours). L’échange avec cette dernière donne une belle (et plutôt inédite) perspective au métier qu’ils accomplissent avec méthodes. Dans sa finalité, et après un tir en gros plan qui fait mouche (encore une belle expérimentation du réalisateur), le credo du Tueur résonne avec simplicité et justesse.
Ne fais confiance à personne. Ne cède jamais le moindre avantage. Bannis l’empathie.
Autre expérimentation marquante de David Fincher, qui ravira les amateurs d’action, celle d’une scène de baston avec un colosse, assez stupéfiante. Une scène complètement inédite chez le metteur en scène, savamment exécutée, orchestrée, et d’une violence abyssale. Chez le réalisateur, réside une envie de création qui contribue grandement au succès de sa mise en scène. Dans cette exercice continue, THE KILLER tue le game et ringardise ses concurrents en se nourrissant des poncifs du genre.
Soyons honnête, avec la prestation bluffante de notre d’affiche et la mise en scène de Fincher, les deux grandes forces du film sont là. Accouplé aux sarcasmes Fincherien (il suffit de voir l’échange ahurissant avec le client fortuné (Arliss Howard)), ainsi qu’à la faible prétention du long-métrage (autre produit de consommation lambda made in Netflix) et il s’avère que THE KILLER se trouve être une petite bombe.
ÉPILOGUE & CONCLUSION
Après ce petit road-trip de la mort/circuit de la faucheuse, le film se conclut par un épilogue (que je tairais volontairement) aussi maigre émotionnellement que son deuxième chapitre. Du moins dans son contenu, puisque sa finalité demeure largement satisfaisante vis-à-vis de la psychologie de notre Tueur atypique et hypnotique.
Ainsi, avec ce retour tant attendu, David Fincher réalise bien ce qu’on attend de lui. Et même plus. Il fait mieux grâce à une technique toujours plus à la pointe de la perfection. Une perfection qui s’articule à merveille avec la caractérisation excitante du profil sans scrupules dévoilé en image par l’immense Michael Fassbender.
Si le projet peut, à plus d’un titre, être comparé à PANIC ROOM, il devait initialement se faire quelques années après celui-ci, en 2007. S’il a été concrétisé durant son deal avec Netflix, cela lui a moins permis de faire un film sans concessions avec un budget confortable (estimé de façon surréaliste à 175 millions de dollars). Reste à savoir comment il sera reçu sur la plateforme, tant les tendances sont subjectives. Dans tous les cas sa qualité pourrait presque se comparer à l’une des premières pensée de notre Tueur :
Comme l’a dit Popeye le marin : « Je suis ce que je suis. » Je ne suis pas exceptionnel, seulement… à part.
The Killer
Le point de vue subjectif le plus signifiant sur le film demeure le mien, étant un réel inconditionnel du réalisateur. Toujours est-il qu’aujourd’hui David Fincher réalise un petit exploit en dynamitant un propos linéaire. « La méthode », il n’y a que ça de vrai.
Les + :
- Le retour de David Fincher à la réalisation d’un thriller sombre et psychologique. À la forme simple mais implacable, et surtout traversée par une mise en scène brillante qui expérimente toujours via quelques trouvailles visuelles.
- Le profil atypique du Tueur sans nom interprété magistralement par Michael Fassbender, héros total et sarcastique de cette fiction. Grâce au charisme et la rigueur physique de l’acteur, il parvient à composer un personnage d’une méthode folle et captivante, notamment via une voix-off qui s’éparpille avec tact.
- Un cynisme et un sarcasme qui rappelle si bien le ton revanchard de FIGHT CLUB. Aujourd’hui, il résonne avec tact dans une nouvelle ère de consommation individualiste à grande échelle.
- L’esthétique et la plastique du film, mouvante et évolutive selon les différents environnements de chasse.
- La méthode, la rigueur, l’exécution, le credo du Tueur pour un travail et une perfection qui fait écho à celui du metteur en scène.
- Un délicieux dynamitage de la caractérisation type du profil de tueur à gages.
- Une violence crue et abondante quand elle se présente à l’écran. Notamment dans une scène de baston mémorable.
- Enfin, autour de Michael Fassbender, qui bouffe et remplit l’écran, s’additionne une petite pile de seconds rôles aussi délicieux qu’éphémères. Parmi lesquels Tilda Swinton qui demeure raffinée (comme dans BENJAMIN BUTTON) mais de façon plus glaciale et nuancée.
Les – :
- Dans sa formalité linéaire en chapitrage, le film tutoie ses limites dans sa construction globale. C’est un outil charmant, mais peut être trop didactique.
- Avec un montage qui alterne les tempos, le film échoue essentiellement dans sa partie plus dramatique et intime quand elle explore le répertoire privé du Tueur.
- En plus du plaisant répertoire de The Smiths, qui contribue à l’excentricité du Tueur, la bande originale composée par les deux fidèles compositeurs du réalisateur n’appuie que trop peu une ambiance pourtant délectable. Et se révèle être la B.O la moins marquante, jusqu’à présent, issue d’une collaboration pourtant fructueuse.
- Comme PANIC ROOM avant lui, le film sera probablement considéré comme un projet plus mineur du réalisateur. Notamment parce que (et c’est en partie vrai) il ne fait finalement qu’effleurer son thème satirique (comme une simple observation), et ne s’avère pas aussi définitif que FIGHT CLUB par exemple.
MA NOTE : 17/20
Les crédits
RÉALISATION : David Fincher / SCÉNARIO : Andrew Kevin Walker
AVEC : Michael Fassbender, mais aussi : Arliss Howard, Charles Parnell, Gabriel Polanco,
Kerry O’Malley, Emiliano Pernia, Sala Baker, avec Sophie Charlotte, et Tilda Swinton (…)
SORTIE : 10 Novembre 2023 / Durée : 1h59
[…] THE KILLER (2023) […]
[…] MA NOTE : 17/20 / MA CRITIQUE : ICI […]