AVIS & ANALYSE : Après 2 ans de travail avorté sur le projet 20 000 lieues sous les mers avec Disney, David Fincher s’attaque finalement à la réalisation d’un best-seller paru en 2012, « Les Apparences » (en France). À l’été 2013, le projet se concrétise avec Gillian Flynn, l’auteure même du roman, à l’écriture du scénario. Durant celle de son ouvrage, celle-ci imagine déjà le réalisateur pour adapter son livre et lui donner vie à l’écran. Un maître du suspense pour un thriller psychologique comme l’homme sait les mettre en scène.
À l’occasion de son cinquième anniversaire de mariage, Nick Dunne signale la disparition de sa femme, Amy. Sous la pression de la police et l’affolement des médias, l’image du couple modèle commence à s’effriter. Très vite, les mensonges de Nick et son étrange comportement amènent tout le monde à se poser la même question : a-t-il tué sa femme ?
AlloCiné
Mais au-delà de son postulat de suspense, GONE GIRL est une véritable satire du mariage et du pouvoir exercé par les médias. Le film dénonce notamment l’hypocrisie d’une société américaine qui idolâtre les apparences. Pour incarner le couple phare au cœur du récit quelques beaux noms ont été suggérés. Pour interpréter le mari et suspect Nick Dunne, c’est Ben Affleck qui obtient le rôle. Un choix qui ne m’enthousiasmait pas. Au départ…
Qu’importe, après une première partie pleine de mystère et d’apparences qui se craquellent, c’est le personnage d’Amy qui happe le film. Ici aussi, de nombreuses actrices refusent le rôle (Natalie Portman, Emily Blunt, Jessica Chastain, ou encore Charlize Theron…). C’est la moins connue Rosamund Pike qui fut choisi, et tant mieux, car celle-ci dévoile une prestation incarnée sous la caméra de Fincher.
Dans tous les cas, il y a 9 ans, la découverte de ce nouveau thriller Fincherien avait mis mes sens en alerte. Non seulement, son traitement du polar type best-seller explosé les normes habituelles, mais surtout parce qu’à mes yeux, le cinéma de David Fincher avait atteint une certaine excellence à l’aube de son dixième film. Le résultat est celui qu’on lui connaît : d’une maîtrise folle. Et mon film best-seller.
UN MARIAGE DE RÊVE
Quand je pense à ma femme, je pense toujours à sa tête. Je me vois fendre son adorable crâne et dérouler son cerveau pour trouver des réponses. Les questions fondamentales du couple : « A quoi tu penses ? » « Comment tu te sens ? » « Qu’est ce qu’on s’est fait ? »
La voix de Nick dans l’introduction du film
Le dixième film de David Fincher débute sous la voix-off de notre tête d’affiche. Un outil que le réalisateur maîtrise bien et qui va s’avérer indispensable dans le déroulement du récit. Des paroles fondamentales sur le mariage et qui vont faire écho au dernier plan du film. Sous un montage millimétré, le metteur en scène nous plonge dans son décor du Missouri au côté d’un Nick Dunne désabusé.
On reconnaît tout de suite la faculté des techniques Fincherienne. D’autant qu’ici l’ambiance baigne sous les notes minimalistes de Trent Reznor et Atticus Ross, pour une troisième collaboration remarqué. C’est également sa quatrième collaboration avec le directeur de la photographie Jeff Cronenweth. Après FIGHT CLUB, THE SOCIAL NETWORK et MILLÉNIUM. Un détail qui a son importance pour la mise en abîme d’un thriller qui joue sur les apparences.
Très vite, le montage se rythme sur la voix-off, cette fois, de la seconde tête d’affiche. Dans l’énumération d’un conte de fées idyllique à une lente déconstruction vers le précipice d’un mariage à l’agonie. Ses scènes cruciales dressent le profil d’Amy autant que le doute sur sa mystérieuse disparition. Principalement, parallèlement et peu à peu le film additionne les indices de façon méthodique et douteuse. Sous un découpage calibré depuis le jour de la disparation d’Amy : le 5 juillet, après 5 ans de mariage.
Tout cela se fait sous le regard désabusé du mari, Nick, de plus en plus suspect. C’est ici que le choix de Ben Affleck fait mouche. Sous son air dépité, charmeur et presque prétentieux, l’acteur se glisse à merveille dans la peau de cet homme qui multiplie les erreurs comportementales. Ou du moins dans l’attitude télécommandé à laquelle on s’attend, dans ce genre de situations. Ce qui va nous amener sur l’une des facettes les plus exaltante du film.
SUSPECT DÉSIGNÉ
« Les Apparences » : sous son air de benêt, le good guy sourit quand les journalistes le lui demandent de façon insidieuse en conférence de presse. Caline une femme devant public, fait un selfie avec miss ragot et se montre détaché face aux enquêteurs. Autant de détails qui ménage le suspense et font l’allégorie d’une société mécanique et désincarnée de naturel. Nick tente juste d’être sympa.
Car on le comprend vite, on l’apprend peu à peu, mais Nick est un homme malheureux, qui nourrit bêtement l’adultère et le mensonge. Dans une vie gouvernée par les femmes. La preuve, il saute sa jeune maîtresse (Emily Ratajkowski), une jeune étudiante (quel cliché délicieux) sur le canapé de sa sœur jumelle (Carrie Coon, fabuleuse). Mais Nick n’est pas nécessairement un bad guy, ça aussi, on le devine vite. Nick est juste tourmenté, capricieux et faible dans ses besoins d’homme. Comme beaucoup d’entre nous.
Cela ne l’excuse en rien, d’où sa faiblesse. L’une des forces de GONE GIRL : s’articuler sur un « monsieur tout le monde » un peu nigaud et foutrement crédible. Pris dans la spirale des médias avares en buzz. C’est aussi triste, drôle que réaliste. Après 3 jours de disparitions et une heure de film, le couperet tombe : Nick est le dindon de la farce. Au moins, il comprend cela.
Sans être réellement présente à l’écran la présence d’Amy se renforce sous le découpage de son journal intime. Et de la chasse aux trésors qu’elle a organisée hors champ. Le drame se mêle au genre policier dans la descente au enfer de Nick, qui se conclut par une mise en scène calculée qui pourrait causer sa perte. Un journal intime carbonisé et une garçonnière alimentée. C’est délectable et nous amène au tout aussi délicieux twist sur… (voir le titre ci-dessous).
L’ÉPATANTE AMY
Quel soulagement d’être enfin morte ! Enfin, j’ai « disparu ». Je serai bientôt présumée morte. Envolée. Et mon mari flemmard, menteur, infidèle et insensible ira en prison pour mon meurtre. Nick Dunne m’a volé ma fierté, ma dignité, mes espoirs et ma fortune. Il m’a tout volé, jusqu’à ce que je n’existe plus. Ca c’est un meurtre. Le châtiment sera à la hauteur.
La vérité sur Amy
Sous un exquis montage, dont seul David Fincher en a le secret, la deuxième partie du film débute par un retournement de situation. Et de la narration. Un twist épatant qui dévoile le plan millimétré d’une épouse bafouée. Cela lève le voile sur la pièce manquante du puzzle, ainsi que sur la facette d’un personnage riche et complexe. Instinctivement, on a l’impression qu’il lui manque juste une case. Qu’elle est tout simplement une sociopathe.
Mais si notre société l’avait tout simplement façonnée t’elle qu’elle ? Et si l’insidieuse saga littéraire de ses parents ne l’avait pas, peu à peu, pourrie dans ce jeu des apparences ? Tout comme l’institut du mariage, ses composantes dépassées, ses contrats oppressants, et l’image idyllique qu’il doit renvoyer ? Qu’importe la raison, le personnage et sa caractérisation sont une merveille d’écriture. Loin d’être misogyne (voir polémique avant la conclusion, plus bas) mais profondément littéraire. Et faillible comme on peut l’être humainement.
La mise en œuvre et l’exécution de son plan demeure brillant. Une facette de thriller littéraire que beaucoup ont tenté de reproduire ensuite, en vain, puisqu’ils n’ont même pas effleuré le génie de GONE GIRL.
Forgez-vous un personnage dont tout le monde pleurera la perte. L’Amérique adore les femmes enceintes. Ce n’est rien, d’écarter les jambes. Ce qui est dur, C’est simuler une grossesse. (…) Bon anniversaire. (…) Début du compte à rebours. Préparez méticuleusement la scène de crime, avec assez d’erreurs pour éveiller les soupçons. Il faut saignez. Beaucoup. Enormément. (…) Nettoyez. Mal. Comme il le ferait. Nettoyez, saignez. Saignez, nettoyez.
Le plan mis en exécution d’Amy
Il vous faut un journal intime. 300 entrées minimum sur Nick et Amy. D’abord, la magie des débuts. Ca, c’est vrai. Et c’est crucial. Nick et Amy doivent être sympathiques. Ensuite, vous inventez. Les dépenses, la brutalité, la peur. La violence sourde. Et Nick qui se vantait de sa plume ! Brûlez-le, à peine. Assurez-vous que la police le trouve. Enfin, organisez une chasse au trésor très particulière. Si je ne fais pas d’erreur, Nick sera honni pour avoir tué sa belle épouse enceinte. Et après le scandale, quand je serai prête, je me noierai, étourdie par des cachets et lestée par des pierres. Quand ils trouveront mon corps, ils sauront que Nick Dunne a jeté sa bien-aimée comme un déchet. Elle a sombré, en compagnie d’autres femmes battues, superflues, encombrantes.
Le plan mis en exécution d’Amy
Au milieu de tout ça, il y a évidemment la prestation de Rosamund Pike. Méthodique, gracieuse, changeante, inquiétante. L’actrice a d’ailleurs dû jouer avec son poids pour incarner au mieux Amy, et le résultat s’avère épatant. La transformation d’une prédatrice mouvante. Mais puisque cela serait trop facile, la fuite d’Amy et son regain de survie, se voit compromis après la mise à sac de ses économies.
Parallèlement, Nick organise sa défense. Un atout qui a deux points d’intérêts majeurs : donner encore plus d’épaisseur au profil complexe d’Amy, notamment grâce à un fragment de son passée révélé. Puis donner une dynamique d’offensive envers les médias. Ce faisant, en jouant au même jeu des apparences, auquel il avait renoncé et qui lui a valu cette descente en enfer de la part de son épatante épouse.
L’ART DE LA MISE EN SCÈNE
Cette partie du film va également éclairer les deux plus grosses guest star du film. Tout deux issus du registre de la comédie. Ils sont respectivement incarnés par Tyler Perry en avocat prodige, et Neil Patrick Harris en ex maniaque et illuminé. Nos deux têtes d’affiche vont, quant à elles, tirer le meilleur de leurs personnages dans ses différents face-à-face, pour un ultime jeu de mise en scène jubilatoire.
Ce qui nous amène à quelques nouvelles scènes délicieuses. À nouveau. Quand la détermination se mêle autant à la réalité qu’à la fiction. Il y a d’abord l’interview télévisée de Nick, dans la démonstration d’un portrait émancipateur de mec imparfait. Qui amène, en face, a la fascination de son épouse qui médite un nouveau plan machiavélique. Qui finira en bain de sang.
Pour s’échapper de sa nouvelle cage dorée notre mante religieuse va changer de peau. Après l’image de la plouc vient celle de l’avenante anti héroïne. L’ensemble des scènes dans le chalet de luxe de Desi vont s’avérer glacial. Et psychologiquement éreintante dans cette perversion de l’image parfaite, façonnée par l’excellence.
Son point d’orgue réside évidemment dans la mise à mort de Desi, l’ex instable. La scène est encore plus marquante que la préparation méticuleuse de la terrifiante Amy. Sous les notes sourdes des deux compositeurs, l’effusion d’hémoglobine est prodigieuse. Le résultat inespéré. Un cinéma digne des plus grand thriller d’Hitchcock, de façon moderne.
Si jusqu’à présent l’imagerie du film s’avérer remarquable, le retour d’Amy dans le Missouri multiplie cet effet. Carrée court, corps maculé de sang, le regard froid de Rosamund Pike puis l’impuissance de Ben Affleck, sont autant d’éléments forts qui glorifie cet ultime jeu des apparences.
ÉPILOGUE & POLÉMIQUE
Durant ses vingt dernières minutes, GONE GIRL conclut merveilleusement son odyssée matrimoniale. Et s’éloigne très brièvement de son modèle lors de son épilogue. Amy atteint son apogée dans sa mainmise de la situation avec sa grossesse. Nick demeure coincé et impuissant. Abandonné par ses alliés. Mais non sans humour.
Un livre, un film et une franchise pour Le Bar. Remerciez-la. Mais ne l’énervez pas.
Les dernières paroles de l’avocat de Nick
Le changement de regard et de discours des médias est formidable jusqu’à l’interview final. Ce mélange de douceur amère, de manipulation et d’apparences permanentes fait du film une satire extraordinaire d’un couple à la retranscription qu’on désire utopique. Ce dénouement mémorable et ce plan final font d’Amy l’une des méchantes les plus emblématique du cinéma.
Amy : Je suis la connasse que tu as épousée. Tu ne t’es aimé toi-même que lorsque tu essayais de plaire à la connasse. Je ne renonce jamais. Comme toutes les connasses. J’ai tué pour toi. Qui d’autre l’aurait fait ? Tu rêves d’une gentille fille du coin ? Tu peux te brosser. C’est moi ton rêve.
Nick : Tu délires complètement. Tu es cinglée. Qu’est ce que tu cherches ? Oui, je t’ai aimée, mais ensuite, on s’est détestés, harcelés. On s’est fait du mal.
Amy : C’est ça le mariage.
Amy à Nick après son annonce de sa grossesse orchestré
Il est amusant de constater que GONE GIRL, qui s’avère être le plus gros succès du réalisateur, soit accusé de misogynie à sa sortie. Une polémique assez ironique compte tenu de la caractérisation des personnages. Avant toute chose, il convient de se souvenir que film, et le roman, sont effectivement écrit par une femme. L’auteure du roman se défend et argue que quand des hommes créent des personnages masculins malfaisants, on appelle ça des antihéros.
Ensuite, le personnage de Nick n’est pas tant une victime, mais davantage le dindon de la farce, face à une figure féminine déterminée et bafouée. Contre le portrait d’un homme faible et infidèle. De plus, la filmographie de David Fincher a démontré le contraire de la misogynie jusqu’à présent. Faisant de cette polémique une absurdité assez révélatrice. Révélatrice pour la crédibilité qu’on peut allouer aux médias, qui font parfois affaire de tout, pour de belles apparences, et des titres en gras. La satire du film résonne depuis avec tact.
CONCLUSION
A quoi tu penses ? Comment tu te sens ? Qu’est ce qu’on s’est fait ? Qu’est ce qu’on va faire ?
Les dernières paroles de Nick et du film
Ses paroles résonnent dans ma tête. En plus d’être d’une fidélité frappante avec le roman (ce qui s’explique par l’implication de Gillian Flynn, de façon logique) GONE GIRL est un film acide et retors. Un film coup de poing à mon égard, à une période florissante dans la filmographie de Fincher. Lors de sa sortie, le 8 octobre 2014, ce fut le jour où j’ai rencontré ma propre femme. Seulement quelques heures après avoir vu le film.
Un élément marquant pour un film qui m’a d’autant plus profondément marqué. Ajouter à cela toutes les caractéristiques qui font de David Fincher mon réalisateur favori, GONE GIRL demeure mon film thriller par excellence. Et mon film favori également, au côté de BENJAMIN BUTTON.
Les + :
- L’adaptation d’un best-seller par excellence, par un réalisateur acharné et méthodique. Sous la plume de l’auteure même du roman, le résultat est aussi grandiose que fidèle.
- Méthodiquement, cruellement, et de façon amère, le film dresse le portrait de médias gangrénés par les faits divers, et d’une Amérique pourrit par ses facettes d’apparences.
- Une ambiance délectable et moite sous les notes de Trent Reznor et Atticus Ross. D’une mise en scène fluide de Fincher et sous la direction photographique de talent de Jeff Cronenweth qui s’imprègne idéalement de son décor atypique : le Missouri.
- Son twist machiavélique qui rabat les cartes de l’intrigue après une heure de mystères.
- La mise en abîme du mariage et du couple au centre du récit. De Nick Dunne, homme impuissant et désabusé, interprété avec brio par Ben Affleck, jusqu’à Amy, la femme bafouée, dans laquelle Rosamund Pike se donne corps et âme.
- Un montage globalement brillant, encore une fois dans la filmographie du réalisateur. D’Amy à Nick, le résultat est discipliné, méticuleux et dévoile un puzzle diabolique à échelle humaine.
- Des seconds rôles formidables, de la sœur franche (Carrie Coon), à l’ex dérangé (Neil Patrick Harris), la flic maline (Kim Dickens), jusqu’à l’avocat superstar (Tyler Perry).
- L’ultime machination d’Amy qui va de l’exécution de son ex (dans une scène folle en tous sens) jusqu’à sa grossesse pour maintenir le contrôle sur son mariage d’apparence. Une méchante comme on en fait rarement au cinéma.
- Sa fin mémorable, satire glaçante sur l’institut éternel du mariage. Personnellement renversante.
Les – :
- Je l’ai vu 3 fois au cinéma à l’époque. Depuis, pas une seule fois sur grand écran, hélas.
MA NOTE : 19/20
Les crédits
RÉALISATION : David Fincher / SCÉNARIO : Gillian Flynn
AVEC : Ben Affleck & Rosamund Pike, mais aussi : Neil Patrick Harris, Carrie Coon, Kim Dickens, Tyler Perry, Patrick Fugit, David Clennon, Lisa Banes, Emily Ratajkowski (…)
SORTIE (France) : 08 octobre 2014 / Durée : 2h29 / GENRE : Drame, Thriller, Policier
[…] GONE GIRL (2014) […]