MILLÉNIUM : Les hommes qui n’aimaient pas les femmes (The Girl with the Dragon Tatoo)

EN DEUX MOTS : Après un faux départ pour un projet qui semblait fou pour David Fincher, le roman de Stieg Larsson « Les hommes qui n’aimaient pas les femmes » (suite à l’engouement qu’il créa) a été adapté dans un film (puis dans une trilogie) Suédo-danois. Un remake américain est vite dans les cartons, puis en 2010, un an plus tard, le réalisateur est finalement rattaché au projet. Un remake que va totalement s’approprier le metteur en scène qui revient alors au Thriller.

Mikael Blomkvist, brillant journaliste d’investigation, est engagé par un des plus puissants industriels de Suède, Henrik Vanger, pour enquêter sur la disparition de sa nièce, Harriet, survenue des années auparavant. Vanger est convaincu qu’elle a été assassinée par un membre de sa propre famille.
Lisbeth Salander, jeune femme rebelle mais enquêtrice exceptionnelle, est chargée de se renseigner sur Blomkvist, ce qui va finalement la conduire à travailler avec lui.
Entre la jeune femme perturbée qui se méfie de tout le monde et le journaliste tenace, un lien de confiance fragile va se nouer tandis qu’ils suivent la piste de plusieurs meurtres. Ils se retrouvent bientôt plongés au cœur des secrets et des haines familiales, des scandales financiers et des crimes les plus barbares…

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Après le moins dense mais pourtant aboutie et acclamé THE SOCIAL NETWORK, David Fincher réembauche la même équipe technique. Malgré un scénario signé Steven Zaillian, qui prend quelques raccourcis et divers remaniements, les deux hommes demeurent très fidèle au roman. Notamment pour son ambiance, et malgré la langue anglaise, l’équipe tourne (en grande partie) en Suède. Vibrant, électrique, dense mais incroyablement fluide dans son montage (cela lui a valu un oscar) MILLÉNIUM se révèle hypnotique. Aussi hypnotique que brutal.

Pour incarner le charismatique journaliste Daniel Craig est choisi. Un choix idéal pour un acteur british de milieu d’âge, qui va parfaitement composé avec son charme rugueux et l’aisance de son jeu. La partie plus difficile résidé dans le visage de la nouvelle Lisbeth Salander. Incarnation tranchée du roman et qui avait fraîchement briller dans les téléfilms sous les traits de Noomi Rapace. Dans un profil plus étiré, et après l’évocation d’une multitude d’actrices renommées (Scarlett Johansson est par exemple recalée pour son physique trop « parfait »), c’est la méconnue Rooney Mara qui décroche le rôle. Celle-ci avait notamment fait une apparition remarquée dans l’introduction de… THE SOCIAL NETWORK.

EXIL GLACIAL

Si le choix des acteurs à son importance dans le film c’est parce qu’il rythme son récit de manière incisive. D’abord de façon séparée, puis regroupée, pour un résultat divin. Le film débute toutefois mystérieusement par une courte introduction qui met le doigt sur le mystère d’un vieil homme (Christopher Plummer, octogénaire impérial à l’époque). Vient alors l’époustouflant générique, sous une reprise assourdissante de « Immigrant song » de Led Zeppelin, par Karen O. Les premiers amours du travail qui ont fait la renommée du réalisateur.

Un autre choix qui a son importance puisque MILLÉNIUM mise sur une imagerie et un style musical époustouflant. Des notes électriques et instrumentales signés Trent Reznor & Atticus Ross. Des compétences d’ordres indispensables qui contribuent à l’ambiance si particulière du Thriller policier.

De manière millimétrée, le film dresse les portraits de ses héros imparfaits et revanchards. Deux fins limiers de surcroît, aux méthodes bien différentes. Sans le savoir les destins des deux êtres que tout oppose se tissent, tandis que la contextualisation de l’intrigue se ressert sur sa partie policière. Le profil désabusé de Blomkvist en journaliste en exil s’avère idéal dans cette dynamique d’enquête. Une enquête pleine de mystères et de secrets familiaux qui va prendre une tournure sordide après sa première heure.

Vous aller enquêtez sur des voleurs, des pingres, des brutes. Un ramassis de personnes détestables comme vous n’en verrez jamais. Ma famille.

Henrik Vanger

Parallèlement, le quotidien de l’antisociale hackeuse Lisbeth Salander se voit chambouler après l’AVC de son tuteur. En plus d’un titre v.o bien moins élégant, celui de la version française va rapidement prendre tout son sens à l’écran.

COMMENT ÉDUQUER LE MÂL(E)

Par le biais de 3 échanges, passant de malaisant à abominables, Lisbeth va faire face au diable. Une des pires facettes du mâle et de sa misogynie. Le néerlandais Yorick Van Wageninggen compose un personnage infâme, qui se nourrit du pouvoir qu’il impose par nécessité. Au-delà d’un personnage à vomir (celui du violeur), loin de certains stéréotypes, c’est celui d’un homme obséder par son pouvoir de domination.

Après un viol oral, déjà insoutenable, la scène dans son appartement franchit un cap dans la détresse de Lisbeth. Sauf que le mal qu’il va lui faire va engendrer un autre mal : le désir de vengeance.

Le mal sera vaincu par le mal

Intitulé d’une affiche promotionnel de Millénium

Rooney Mara s’avère époustouflante. Physiquement comme sensoriellement. Il y a évidemment le réalisme sur le corps de l’actrice, des piercings aux tatouages jusqu’au style vestimentaire. Rooney Mara dépasse la condition de l’accessoire pour une partition plus vraie que nature. Sa mise à nu, son caractère taciturne, son regard noir. La journaliste Michiko Katani du New York Times en fait d’ailleurs une description assez imagée et réjouissante pour être souligné :

« Lisbeth Salander, l’elfe féroce imaginé par Stieg Larsson, est l’un des personnages les plus étranges que l’on ait vu depuis longtemps : une gamine, sosie d’Audrey Hepburn avec tatouages et piercings, possédant l’attitude bravache d’une Lara Croft et l’intelligence calme, insensible d’un docteur Spock. Elle est l’image de la victime vulnérable devenue auto-justicière, une fille viscéralement antisociale, étiquetée handicapée mentale par les services sociaux, qui s’est révélée aussi explosive que n’importe quelle guerrière de jeu vidéo. »

Son personnage atteint son apogée assez rapidement, quand elle établit sa vengeance envers son violeur. La scène, terrible mais largement justifiable, s’avère réjouissante malgré sa violence. Une violence crue qui englobe magnifiquement l’œuvre de Stieg Larsson et qui inonde le film de Fincher, qui s’en imprègne allégrement. Le mixage sonore du film, formidable, berce par ailleurs les scènes monstrueuses qui ponctuent le thriller. Et fait de même dans sa partie policière.

DEUX ÊTRES EN SCANDINAVIE À LA RECHERCHE D’UN MAL HÉRÉDITAIRE

L’enquête de Blomkvist s’étoffe, de son côté, petit à petit. Mais c’est principalement son ambiance polaire qui nous happe. Le journaliste, bien loin de la capitale Suédoise, se retrouve seul au plus glacial de l’hiver avec pour seule compagnie un petit chat (dont les interactions sont délicieuses) et les membres de la famille Vanger, qu’il questionne un à un.

Ce qui contribue à la vraie réussite de sa partie policière se fait en deux temps. D’abord pour sa plongée vintage dans les secrets d’une grande famille bourgeoise suédoise. Puis par l’atmosphère glaçante du roman qui prend tout son sens à l’écran grâce à tournage en terre scandinave lors de l’hiver (2010), le plus froid recensé depuis 20 ans à l’époque.

Puis vient ensuite sa savoureuse collaboration avec la renfrognée Lisbeth. Si elle paraît à la limite de l’autisme, la jeune femme va précipiter l’enquête vers sa conclusion. Le duo collabore, mélange leurs connaissances et leurs recherches dessine une vaste vague de meurtres innommables, vieux de plus de 60 ans. Au nom de l’ancien testament.

Lisbeth : Comment a-t-elle été tuée ?

Policier : Mlle… ? [Lisbeth : Salander] Quand avez-vous mangé pour la dernière fois ?

Lisbeth : C’est mon métabolisme, je grossis pas.

Policier : Je demande, parce qu’il vaut mieux voir ce que je vais vous montrer l’estomac vide.

Lisbeth et un policier à propos d’un vieux meurtre biblique non élucidé

Le printemps fait son apparition, leurs échanges demeurent un régal, leur collaboration devient plus intime et fait son effet malgré la différence d’âge. Une dynamique savoureuse, qui va les amenés à côtoyer de plus en plus le diable jusqu’à les menées directement en enfer. 

 « Ce que la neige recouvre, se révèle au dégel »

Tagline du film, et proverbe suédois

On retrouve une ambiance et un travail méticuleux fait en amont chez le metteur en scène. De manière très stylisé, bien sûr, et surtout avec un soin du détail assez dingue. Une réussite quand il s’agit de la photographie. Ce perfectionnisme nous amène sur quelques envolées visuelles assez folle. Probablement les visuels les plus dingues de David Fincher jusqu’à présent. Dans mon cas, la moitié des images du film (de plus de 2h30) m’ont littéralement marqué la rétine.

ANTRE DU MAL & FLEURS DU PASSÉ

Atmosphère pesante, montage dense et fluide, ambiance sonore glacial et épurée, MILLÉNIUM réussit aisément son processus de divertissement insidieux. Un polar scandinave à la Fincher : c’est-à-dire iconoclaste, savoureux et désespérément perfectionné.

Ce perfectionnisme se révèle à son meilleur dans une longue scène de séquestration, après la révélation du coupable. Un coupable sous les traits nuancé du formidable acteur suédois Stellan Skarsgård. Ce dernier nous laisse entrevoir le véritable visage du mal dans une démonstration méticuleuse de sadisme, de perversion, et de raffinement. Face à lui, Daniel Craig demeure parfait, désinvolte mais vulnérable, tandis que l’acteur s’est physiquement investis dans l’exercice. (et à même perdu connaissance lors du tournage).

Puis Lisbeth frappe à nouveau bien, et frappe même fort. À coup de club de golf. S’ensuit une course poursuite effrénée au beau milieu de la nuit, celle d’un prédateur devenu proie. Cette rare scène d’action vaut davantage pour les apparitions furtives de la gueule démolie et difforme de Skarsgård au volant, plutôt que par quelques effets numériques un peu grossier (si ont exclut sa cascade final).

Pour clore le chapitre central d’Hedestad l’ultime révélation autour du passé douloureux d’Harriet est ainsi révélée. À Londres. Contrairement au roman qui révèle Harriet en Australie, le récit nous ramène vers la Anita/Harriet (Joely Richardson) découverte en première partie. L’actrice britannique, couplée de son charme discret, se révèle idéal, notamment dans ses retrouvailles succinctes et très poignantes face à un Christopher Plummer diminué et démuni.

ÉPILOGUE

Héroïne totale du long-métrage, mais sous un air enfantin et docile devant celui qu’elle considère dorénavant comme un ami/amant, la formidable Lisbeth demande une faveur. Une avance pour un placement qui peut rapporter gros. Dans une nouvelle démonstration de montage virtuose, la jeune femme exécute son plan, et par la même occasion boucle l’affaire Wennerström (Ulf Friberg), qu’elle condamne indirectement à mort.

Sous des faux airs d’Oceans (pour son casse qui mélange faux-semblants et escroquerie de grande envergure) le charme incandescent de Rooney Mara fait encore mouche. L’actrice, dont l’âge et le physique colle parfaitement au personnage imaginé par l’auteur, parvient à saisir toute la nuance d’une justicière radicale en marge de la société. En 2h38, le film fournit les détails nécessaires à cette authenticité. (Comme la révélation précoce sur l’attaque qu’elle proféra contre son père, enfant). Sa prestation lui a valu une nomination à l’Oscar, et à l’époque elle semblait être en passe de devenir la muse du réalisateur. Rien que ça.

Sa conclusion paraît en revanche quasi précipitée, malgré la justesse de son scénario. Un sentiment qui persiste hélas puisque le film n’a jamais eu de suite direct. Avec MILLÉNIUM : Les hommes qui n’aimaient pas les femmes, son réalisateur réussi toutefois l’exercice (périlleux) du remake. D’aucuns trouvera la trilogie suédoise plus graveleuse et authentique (et pour le moins fidèle). Toujours est-il qu’avec sa proposition imprégnée, David Fincher saisit toute l’intensité de son matériau et demeure fidèle l’essence de son roman éponyme.

CONCLUSION

En tant que fan, de la trilogie littéraire (beaucoup moins de sa suite, après la mort de l’auteur), mais surtout du metteur en scène, mon point de vue est plus que jamais subjectif. Néanmoins, MILLÉNIUM fait partie des rares remakes ayant reçu des retours critiques aussi positifs. Enfin, pour le genre du thriller policier, jusqu’à présent, il demeure mon long-métrage favori. Ses points positifs seront suffisamment explicites pour expliquer pourquoi.


Les + :

  • Une plastique esthétique renversante. David Fincher était déjà un metteur en scène hors pair, aujourd’hui, il devient (en plus) un technicien de style
  • L’incroyable noirceur cruelle du roman de Stieg Larsson, qui, en plus de son style scandinave charmant, compose une véritable mine d’or de genre (politique, corruption, enquête policière sordide, secrets familiaux…)
  • Si Daniel Craig est un choix parfait pour son charme et son zèle, Rooney Mara bouffe l’écran et compose une figure iconique et émancipatrice. Celle de la misogynie la plus brutale qui soit
  • Cette violence sans concessions et sans échappatoire
  • Un mixage sonore galvanisant et une bande-son électrique complètement folle qui tend et purifie l’ambiance glacial du film
  • Un montage tout bonnement brillant, fluide, et très riche. Plus de 2h30 coupés avec maestria
  • Malgré son langage anglais imputable, l’authenticité de son atmosphère scandinave, notamment dans ses décors locaux.
  • D’excellents second rôle (mention à Christopher Plummer et Stellan Skarsgård)

Les – :

  • Hélas, MILLENIUM demeure un remake. Stylisé et fidèle (et meilleur à mon humble avis) mais moins authentique que l’original, car logiquement tourné en langue anglaise
  • Sa fin un peu abrupte. Qui est d’autant plus frustrante puisqu’elle ne dispose pas de suite…

MA NOTE : 18/20

Les crédits

RÉALISATION : David Fincher / SCÉNARIO : Steven Zaillian

AVEC : Daniel Craig & Rooney Mara, Christopher Plummer, Stellan Skarsgård, Yorick Van Wageningen, Robin Wright, Steven Berkoff, Joely Richardson,

mais aussi : Ulf Friberg, Goran Visnjic, Geraldine James, Donald Sumpter, Per Myrberg, Josefin Asplund (…)

SORTIE (France) : 18 Janvier 2012 / Durée : 2h38 / GENRE : Thriller, Policier

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