SUCCESSION – saison 4 (finale)

Un dernier vol aux perturbations radicale

AVIS & ANALYSE : Il aura fallu attendre moins d’un an et demi pour la quatrième (et finalement dernière) saison de l’illustre SUCCESSION. Tout comme ses acteurs qui l’apprennent en fin de tournage, le showrunner de génie Jesse Armstrong révèle seulement quelques semaines avant le début de sa diffusion que cette saison clôture la série. Une décision qui apparaît comme un choc, mais qui à le mérite de stopper le show au plus haut de sa gloire. Notamment après les deux nouveaux Emmys Award (et Golden Globes) qu’elles recevaient au terme de sa précédente saison.

Avec son rythme tonitruant, son lot de rebondissements et de traîtrises en tout genres, sans oublier des cliffhangers à chaque fin de saison, SUCCESSION avait toutes les cartes en main pour s’achever en fanfare. Clôt-elle avec succès le drama surprise le plus renversant de ces dernières années ? Ou manque t-elle d’un brin d’audace comme sa saison 3 ? (Bien qu’elle s’avère merveilleuse).

A l’arrivée, cette grande saga familiale nous fait chavirer. Chose rare, elle use d’une ellipse de temps (6 mois) pour donner du contexte à son intrigue. Et après son démarrage en fanfare elle fait quasiment du un jour / un épisode pour un contenu total très dense. Tout est alors question d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Dans une farandole exemplaire d’amertume et de tension. Son final divisera assurément mais à aucun moment on pourra critiquer SUCCESSION de manqué de cohérence, d’évidence. Personnellement j’ai été conquis par la précision et la tristesse des derniers instants.

Cette ultime saison d’à nouveau 10 épisodes achève son épopée avec l’ensemble de ses assaillants stars naturellement et fait écho aux précédentes saisons. Son début et sa fin de saison le prouvent avec le retour de nombreux exquis guest.

Vous pouvez retrouver ici les critiques des précédentes saisons :
- SAISON 1
- SAISON 2
- SAISON 3

I WENT TO MARKET

En se déroulant quelques mois après la restructuration choc de Logan (Brian Cox) excluant ses enfants, ce premier épisode débute comme son pilote, par l’anniversaire du paternel. En chassé-croisé entre New York et Los Angeles, chacun des clans va se lancer dans une bataille de négociation pour racheter les tant espérés PGM, découverts en seconde saison. D’un QG à un autre, entre de multiples coups de fil les enfants Roy mettent la main sur l’entreprise représentée par Nan Pierce (Cherry Jones). Pour la modique somme de 10 milliards de dollars…

Grandeurs et décadences sont de mise ici comme à son habitude dans SUCCESSION. Ses montants astronomiques ne sont que subjectifs et ne font que refléter la rancœur et la résolution de certaines parties à vouloir achever l’autre. Le titre de cette ultime reprise « The Munsters » développe cette idée, et une certaine notion de la mort. Rien n’est laissé au hasard ici.

Que sont les gens ? Ce sont des unités économiques. Je suis un géant. Ces gens sont des pygmées. Mais… à nous tous, on forme un marché.

Qu’est ce qu’une personne ? Elle a des valeurs, des objectifs. Tout en évoluant au sein d’un marché. Le marché du couple, le marché du travail, de l’argent, des idées, etc. (…)

Vous croyez qu’il y a un après ? Après tout ça ? (…) Je ne crois pas. Je crois que tout est là.

Logan à son chauffeur, S.4 – ÉP.1

Ce pouvoir vacillant et les alliances tangibles ne sont plus un secret dans la série et seront au centre de cette dernière aventure comme le prouve le pacte précaire des trois enfants roi. Si Kendall (Jeremy Strong) et Siobhan (Sarah Snook) semblent résolus à mettre à terre le clan de Logan, c’est le plus frêle  »Romulus » (Kieran Culkin) qui va doucement céder à l’influence de son père. C’est ce qu’on va découvrir dans le second épisode « Rehearsal », puis plus tard dans les locaux d’ATN.

Les événements nous amènent ensuite au renversant troisième épisode  »Connor’s Wedding ». Comme son titre l’indique, cet épisode semble tout d’abord se focaliser sur le mariage controversé de l’aîné hurluberlu (Alan Ruck). Et parallèlement au rachat de Waystar par le suédois de GoJo, Lukas Matsson (Alexander Skarsgård). Un parallèle et un bel exemple d’une preuve de cruauté qui règne dans ce milieu où la vie personnelle passe après les affaires.

UN EMPIRE SANS TÊTE

Sauf que non. Dans une lente et surréaliste confusion les 4 enfants vivent la disparition de leur père en direct. Entre coups de téléphone inaudibles, paroles enfantines, et désinformation, le chaos règne. Ce retournement de situation, principalement hors champ et parfaitement orchestré par le duo star de la saga (Jesse Armstrong à l’écriture / Mark Mylod à la réalisation) renverse l’équilibre mis en place. Et fait preuve d’une force émotionnelle radicale.

Au-delà de déjouer les attentes de son scénario, la série fait l’introspection de sentiments enfouis depuis longtemps. Chose qu’on peut ressentir avec foudre sur les visages et les voix de nos principaux personnages. Dont certains marque la rétine. À noter, une fois n’est pas coutume, les immenses performances de ses acteurs. Quoi qu’il en soit SUCCESSION se renouvelle et ouvre la voie sur quelque chose d’inédit qu’on aurait pensé découvrir dès sa première saison : la bataille de succession.

Ce dénouement inattendu donne également plus d’épaisseur au second épisode et à la dernière rencontre physique des enfants avec leur père. Dans une salle de karaoké new-Yorkais. Une confrontation dense et amère qui survient peu après un discours puissant au sein des locaux d’ATN.

Reste à savoir comment ce revirement allait être géré dans l’intrigue pour nourrir idéalement les profils des délicieux successeurs. L’épisode suivant  »Honeymoon States » en saisit toute la gravité dans un nouvel exercice de huis-clos frétillant de vipères. C’est dans le mythique penthouse de Logan que se déroulent les hostilités. Le temps d’un hommage, et le temps de désigner un successeur intérimaire.

En plus d’apporter une belle valeur à ses seconds rôles récurrents, Jesse Armstrong saisit la gravité de l’influence du paternel. Même après sa mort. C’est évidemment ce qu’on découvre avec un testament à la valeur flou et un nom barré ou souligné. Ambiguïté et perception.

DÉCOLLAGE ET ENVOL, AVANT LE CRASH

Avec Kendall et Roman à la tête (provisoire) de la compagnie, Shiv en touche, le jeu s’avère tendu. C’est parfaitement ce que représente son épisode de mi-saison  »Kill List » lors d’une négociation en terre norvégienne. Beaucoup moins drôle qu’à l’accoutumée, la série entreprend un numéro de funambule ici. Tout d’abord, elle s’affranchit de la présence de Logan pour la première fois et tend nos envies sur la vente de façon contradictoire. L’ivresse du pouvoir pour l’un des frères, l’éternel amour de papa pour l’autre.

Face à eux, le terrible Lukas Matsson semble plus dérangé qu’auparavant et le deal s’envenime méchamment. Les deux frères vont tout faire pour faire capoter une vente en or. Alexander Skarsgård, lui, s’avère formidable en nouveau récurrent. Il délivre une prestation ambiguë, malaisante, qui rappelle la force de son propre paternel, Stellan Skarsgård.

La suite n’est pas moins explosive et consolide l’ambivalence latente de cette dernière saison. Mieux encore, elle charge un avion prêt à exploser en plein vol. Pour ce faire, ses principaux personnages prennent peu à peu des chemins opposés et radicalisent leur choix autant que de nouveaux partenariats. Le casting brille de mille feux, notamment pour ce qu’il reste du couple en friction que représente Siobhan & Tom (Matthew Macfadyen). Dans un mélange de cruauté, d’amour, de secrets, et d’intérêts assez enivrant.

Tom : Je crois que je te veux. J’aimerais retrouver ça.

Shiv : Dans ce cas, t’aurais pas dû me trahir. Hypocrite.

Tom : Si je devais l’expliquer, et parler franchement… Quand je t’ai rencontrée, toute ma vie avait plus ou moins tourné autour de l’argent. (…) Tu ne m’as pas pris en compte. J’ai toujours accepté de compartimenter, mais j’allais me retrouver coincé entre toi et ton père. Et je tiens vraiment beaucoup à ma carrière et à ma fortune. (…)

S.4 – Ép.6

Le début de sa deuxième partie de saison marque ainsi une nouvelle direction avec « Living+« . Nouveau melting-pot de talents et de maîtrises sous les décors de grands studios hollywoodiens et de nouveaux thèmes sacrés signés Nicholas Britell. L’épisode s’ouvre d’ailleurs sur une vidéo enregistrée de Logan, dont la présence ne semble pas vraiment faiblir à l’écran.

La loi, c’est les gens. Et les gens, c’est la politique. Et je peux gérer les gens.

Logan Roy, S.3 – Ép. 3

SABORDAGE MÉDIATIQUE, POLITIQUE, NÉVRALGIQUE…

En entamant sa dernière ligne droite, la saga intensifie son contenu. Avec un souci de cohérence, elle joue sur le fil de ses nombreuses problématiques dans un tourbillon d’amertume. Son septième épisode « Tailgate Party » s’avère faussement sage et éminemment politique. En se centrant sur la soirée pré-électorale certaines relations et ragots implosent. Le couple Shiv / Tom en fait les frais dans une scène de dispute de légende, et émotionnellement éprouvante. Tandis que le sabordage du rachat de Waystar se concrétise méchamment.

Comme sa saison précédente, ce grand final conjugue ses forces et dévoile avant tout le drame caché derrière la comédie corrosive. C’est ainsi qu’on rigole d’un licenciement massif par Skype qu’effectue Greg (Nicholas Braun) de manière nonchalante, ou les propositions indécentes faites à Connor pour la récupération de ses voix électorales. Derrière l’humour (car oui, c’est comique et tragique) se cache une triste justesse. Une justesse parfaitement captée par la série depuis ses débuts.

La suite s’attarde sur les élections même et le résultat s’avère effrayant. Durant plus d’une heure « America Decides » oppose les visions des personnages de manière définitive. C’est sans concessions et immensément amère. Clairement ici le débat entre démocrate et républicain (fasciste) s’articule autour des principaux personnages et des donneurs d’ordre. C’est mesquin, vindicatif et surtout tendu. Et cela mélange le business et la politique.

Avec un montage intense de quasiment un épisode pour une journée (ou une nuit) consécutive on assiste littéralement à la dégradation en continu des relations entre nos personnages. Le trio Roy plus que quiconque dans leurs prises de décisions qui s’étire, se déchire et se ment. Additionnellement l’élection du candidat de droite est un cauchemar éveillé qui fait évidemment écho aux tendances politiques actuelles. Pour que le monde bascule dans un extrême, il n’y a qu’un pas.

UN REFLET SUR L’ÂME, DANS L’OMBRE D’UN GÉANT

C’est ainsi que, petit à petit, après un million de rebondissements entre le terrible troisième épisode et l’avant-dernier « Church and State » on assiste aux funérailles de l’impérial Logan Roy. Dans un épisode hommage à l’ambiguïté latente d’un bâtisseur, la bataille se poursuit entre émotions et rires jaunes. Passé son envoûtant générique (toujours) SUCCESSION dévoile, durant 1h10, un avant dernier-chapitre qui demeure affreusement troublant, contrasté.

Sous la caméra experte de Mylod, et la plume de son showrunner, la série déjoue (toujours, mot récurrent) un peu plus mes attentes dans un féroce bal de sentiments contradictoires. À l’aube d’un vote décisif et dans un climat de chaos, la série centralise son action en plusieurs temps. New York sous la grisaille reflète à merveille un contexte troublé où les héritiers se déchirent autant qu’ils se soutiennent, tandis que tous les partisans de cette grande fable se réunissent.

Sous l’œil de Dieu et du Président élu draconien (Justin Kirk) les enjeux arrivent à leur terme pour une ultime division. Mis en lumière sur sa bisbille avec Matsson et sa grossesse cachée, le personnage de Siobhan demeure savamment incarnée par l’actrice australienne, également enceinte. Face à Sarah Snook rayonnante, les partitions de ceux qui interprètent ses deux frères ennemis ne sont pas en reste. À commencer par Jeremy Strong, pour une dernière démonstration de method acting habité en plusieurs phases. Kieran Culkin dans la peau d’un Roman Roy sabordé par le deuil épate lui aussi, après son discours avorté. Qui n’est pas Logan Roy qui veut.

Néanmoins autour de son cercle star, l’intrigue parvient à faire briller (succinctement) ses seconds rôles, essentiels. D’un baroud d’honneur pour Hiam Abbass et Harriet Walter et leur banc des veufs au discours aussi nostalgique et nuancé de l’impérial James Cromwell. Tout cela prouve une chose : l’ombre du géant demeure.

LE ROI DE L’INFORMATION

La saga arrive ainsi à son terme après 39 épisodes. Et pour clore ce mastodonte insoupçonnée (pour ne pas trop l’encenser) le show voit les choses en grand avec un final d’1h30. Ce qui n’est finalement pas de trop, tant Jesse Armstrong à maintenu son suspense jusqu’à ce point précis du récit. L’ultime bataille pour le couronnement.

« With Open Eyes » nous maintient, oui, les yeux bien ouverts. Le cerveau en ébullition. Car SUCCESSION utilise un pouvoir de réflexion subtile et pragmatique chez son téléspectateur. Le choix du cœur n’existe pas ici. Son auteur a finalement toujours été rationnel : les enfants Roy ne sont pas à la hauteur de cet empire. Ils restent des enfants, capricieux, déstabilisé, en manque d’affection et de confiance. Et il y a ce moment manqué, suite à leur querelle, d’un dinner filmé où le patriarche récite un vieil adage familial. Vision d’un passé dorénavant inaccessible. Cette ultime melting-pot de trahisons s’avère pour cela fracassant par sa fin amère, logique.

Le rachat de Waystar à finalement bel et bien lieu. L’objectivité a pris le pas sur la vanité des trois héritiers, le mégalomane suédois va décimer l’entreprise avec pour vitrine Tom, en tant que PDG. Un choix prodigieux et personnellement exaltant. Ce retournement dramatique demeure cruciale dans la vision réaliste des événements, qu’ils s’agissent du business jusqu’aux gangrènes familiales. Les enfants Roy sont de retour au point de départ, incroyablement riches mais tristes.

Le drama d’HBO a toujours eu pour cœur New-York. Même si son côté international fut essentiel à sa réussite et sa vision réaliste des affaires, la série se centralise dans la grosse pomme. Sa dernière saison presque autant que la première. Son générique le prouve à chaque épisode et de façon évidente son final s’y déroule en grande partie. Mais pas que. Son aparté paradisiaque qui s’articule sur une ultime réconciliation entre les trois enfants s’avère crucial. Dans une ambiance bonne enfant et fatalement mélancolique vis-à-vis de sa finalité.

CONCLUSION

Au-delà d’une succession renversante de trahisons et de retournements de situation, c’est la justesse de ses dialogues qui reflètent toute la force de SUCCESSION. L’horreur des non-dits au moment du vote décisif de Shiv en faveur puis en défaveur de Kendall. Ce qui nous amène à des vérités blessantes et traumatisantes dans une vitrine de verre, aux yeux de tous. La pire facette du trio star. Pathétiques, amers, nos personnages se retrouvent là, ensemble puis seul. Qu’ils soient accompagnés d’un verre de martini, d’un chauffeur ou d’un mari de connivence.

T’es bidon ! Totalement bidon ! Je suis bidon, elle est bidon, il y a rien à sauver. Je te le dis, parce que je le sais. On est rien.

Roman à Kendall, S.4 – Ép.10

Ses dernières minutes enchaînent les plans mémoriaux, un dernier tour de piste dans un nid de vipères. La triste vérité triomphe. SUCCESSION demeure elle aussi un triomphe. Télévisuel, de cinéma, sur les arcanes familiaux… Une série importante, unique, un reflet amer de notre monde.


Les + :

  • Un dernier rodéo, brillant de décadences et de trahisons en tous genres
  • Le choc total et radical de l’épisode 3, qui bouleverse l’équilibre en place
  • L’ultime développement de ses trois personnages phares, Kendall, Siobhan et Roman Roy
  • De rares nouveaux lieux mais de nouvelles situations anthologique qui parachève la saga, et aussi la grandeur de son univers
  • Une saison ultra dense et complète qui navigue sur un rythme continue
  • Le choix rationnel, amer, de son final d’anthologie
  • Matthew Macfadyen, discret mais brillant second rôle déterminant qui obtient son moment de gloire au moment le plus opportun
  • Une dernière partition musicale intemporelle et puissante
  • Une triste réalité pragmatique qui fait de la série un véritable chef d’œuvre

Les – :

  • Quelques seconds rôles moins croustillant face à plusieurs têtes d’affiches conséquentes
  • Le départ du mythique Logan Roy qui survient presque trop vite au cours de la saison

MA NOTE : 19/20

CRÉATEUR : Jesse Armstrong

AVEC : Sarah Snook, Jeremy Strong…, Matthew Macfadyen, Kieran Culkin…, Alexander Skarsgård, Nicholas Braun…, Alan Ruck, Justine Lupe…,

J. Smith-Cameron, Dagmara Dominczyk…, Peter Friedman, David Rasche…, Fisher Stevens, Hiam Abbass…, et Brian Cox,

mais aussi : Cherry Jones, Arian Moayed, Scott Nicholson, Hope Davis, Zoe Winters, Justin Kirk, Juliana Canfield, Natalie Gold, Johannes Haukur Johannesson,

Harriet Walter, Adam Godley, Eili Harboe, Stephen Root, Annabelle Dexter-Jones, Ashley Zukerman, Jeannie Berlin, Larry Pine, et James Cromwell (…)  

ÉPISODES : 10  / Durée : 1h05 / DIFFUSION: 2023

GENRE : Drame / CHAÎNE : HBO

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