AVIS & ANALYSE : Véritable surprise dans l’ouragan télévisuel qui s’abat sur nos écrans ces dernières années, rares sont les séries d’ambition à s’affirmer lors d’une seconde saison. SUCCESSION le fait, et avec réussite puisqu’elle transcende sa propre condition d’un cran supplémentaire. Pour ce faire, la série dynamite son propre concept et dévoie un rythme sans temps morts.
Après une première saison qui touchait du doigt la grâce, cette suite embrasse son plein potentiel en devenant une œuvre fondamentale. En seulement deux saisons de dix épisodes. En débutant en plein été, SUCCESSION s’impose même comme le digne successeur de la fantastique saga Game of Thrones. (Qui s’est achevée précipitamment quelques semaines plus tôt sur HBO également).
À l'occasion de la sortie de la dernière saison de SUCCESSION réévaluation d'une petite critique d'une grande série. Ainsi, cet article s'appuie, comme la précédente, sur ma critique succincte réalisée au moment de sa sortie en 2019. Mais avec plusieurs visionnages et du recul, ce grand drame d'HBO mérite qu'on s'y attarde plus amplement.
LOGAN, LE DERNIER DES DINOSAURES
Pour dresser un parallèle avec la saga fantastique citée ci-dessus, cette nouvelle saison nous plonge dans le game dès sa reprise. Son premier épisode s’ouvre sur le regard vague du fils maudit Kendall (Jeremy Strong, bluffant). Après une exploitation riche et centrale en saison 1, le fils prodigue aura naturellement une nouvelle place de choix ici. Et c’est peu dire. Avant les événements explosifs de fin de saison, l’héritier des Roy jouera au bon petit soldat pour le solde de son cruel paternel (Brian Cox, effrayant).
Ce maintien de force et d’influence pour l’increvable dinosaure ne sera presque pas contesté durant la saison, tant le patriarche Roy exercera un rapport de force écrasant à l’écran. Les multiples situations, et tons, que dévoile la série avec cette saison corrèlent d’ailleurs en ce sens. Logan Roy est au centre de cette fable shakespearienne. Plus encore, le pouvoir qu’il exerce va largement définir le parcours des multiples personnages de SUCCESSION.
Durant sa première saison, le patriarche semble tout d’abord aux bords de l’agonie, vacillant. Le showrunner Jesse Armstrong dresse alors le portrait d’un octogénaire influent qui remonte la pente malgré l’adversité. Quelle qu’elle soit, familiale et/ou commerciale. Aujourd’hui, elle complète la structure de son univers en enrichissant les problématiques autour de Waystar Royco, l’entreprise familiale. « Every family has its traditions« . Des liens du sang aux associés de la compagnie.
Pour ainsi contrer l’OPA à son encontre, le patriarche exerce une certaine mainmise sur les opérations, actuelles et futures. Entre manipulations et tyrannie, le PDG va semer doutes et zizanie dans ses propres rangs. De la nomination tangible de différents potentiels successeurs jusqu’à la volonté d’acquisition d’un média adverse tant convoités. Ce qui va nous amener à une première partie de saison à la montée en puissance vertigineuse.
DANS L’ŒIL DU CYCLONE
La première excellente idée de cette suite consiste à intégrer Shiv (Sarah Snook) dans les affaires familiales. Sous la direction de Mark Mylod (réalisateur de 4 épisodes de la précédente saison et de 4 autres (fondamentaux) aujourd’hui) la belle rousse se fait hameçonner par son papa. Mais sous un jeu de temporisations calculé la charismatique Roy va peu à peu déchanter.
Cet exemple a notamment du sens pour un élément qui caractérise à merveille cette saison 2 : l’utilisation du plein potentiel de ses étourdissants, passionnants, répugnants personnages.
Figure de proue de la famille Roy, Brian Cox saisit la gravité subtile et vindicative de Logan Roy. Un PDG qui depuis son AVC renforce sa position de tyran et semble dénué de ligne morale. Notamment envers ses enfants. La preuve après le rebondissement qui conclut sa première saison (l’accident de Kendall) le paternel use de son avantage pour assouvir son fils à ses propres désirs. Un levier cruel qui s’associe parfaitement au côté pitoyable qui peut parfois définir Kendall.
Jeremy Strong dévoile alors une prestation déstabilisante, entre fragilité et tristesse. D’autant que son personnage demeure une figure de choix comme successeur de l’entreprise. Ce qu’on peut découvrir par son sens des affaires affûté. Face à lui, l’Australienne Sarah Snook s’impose comme une adversaire redoutable. Dans la peau de Shiv Roy, l’ancienne consultante en politique miroite le poste de son papa avec ambition. Mais se surestime. Son charme indéniable et ses envies de libertés dans son mariage tangible avec Tom (Matthew Macfadyen, croustillant) complètent habilement le tableau.
Dans cette dynamique si atypique, la série se distingue allégrement par son mélange de tons. Encore une fois, sa première partie de saison se révèle étourdissante, et notamment en enchaînant trois épisodes mémoriaux.
UNE GRANDE ET BELLE FAMILLE
Dès le troisième épisode »Hunting », qui rassemble une bonne partie du CA lors d’une partie de chasse en Hongrie, les choses s’intensifient. Notamment quand Logan use de son pouvoir dans un jeu « Boar on the floor » aussi hilarant que honteux humainement. Le suivant « Safe Room » demeure un mélange encore plus acide avec sa menace de danger potentiel au sein même des locaux d’ATN.
Entre comportement humain inapproprié et tristesse profonde, SUCCESSION peut largement s’avérer déstabilisante. On passe ainsi du rire aux larmes (de façon imagée). De la crise de Tom contre son sous-fifre Greg (Nicholas Braun) qui tente de s’émanciper, jusqu’aux pensées suicidaires de Kendall coincé dans une prison de verre en haut d’un building new-Yorkais.
Vient alors le mi-saison « Tern Haven » et son monstrueux rassemblement de nid de vipères. Un numéro de charme de connivence enivrant. C’est précisément ici que la série saisit toute la gravité et l’osmose de sa formule, lorsqu’elle fait tournoyer ses personnages dans un bal de léchage de cul. Ce faisant, elle redéfinit le sens des traditions familiales, dans son contexte privilégié (et tragique) des 1%.
Ici le showrunner n’en oublie pas ses personnages plus secondaires, qui s’avèrent indispensables à SUCCESSION. Il les dépeint souvent avec humour, ce qui fait évidemment le sel de sa première saison. Le vulgaire Roman (Kieran Culkin) demeure probablement le plus exaltant de ses 10 nouveaux épisodes. En plus d’un physique et d’un comportement idéal, sa caractérisation via ses lubies sexuelles demeure une idée merveilleuse. Ce qu’on découvre par ailleurs avec son attirance pour Gerri (J. Smith-Cameron) dans un flirt aussi drôle que malsain.
À noter les lubies politiques de l’aînée désaxée de la réalité, Connor (Alan Ruck), dans une sous-intrigue délirante. Une cerise sur ce gâteau luxueux.
BLOOD SACRIFICE
La suite de la saison s’adoucit tout d’abord et s’attèle à un nouveau segment plus corrosif : la crise des croisières. Ce qui ne l’empêche pas de délivrer quelques moments impériaux. C’est aussi l’occasion de revoir le temps d’un épisode les délicieux guests Harriet Walter et James Cromwell. Dans la peau de deux personnages qui approfondissent succinctement, mais intelligemment le passé familial des Roy.
Quoi qu’il en soit, où qu’ils aillent les Roy naviguent dans la crise. Ce qui nous amène peu à peu à la fin de saison qui monte à nouveau en gamme. Les deux derniers épisodes, mis en scène par Mark Mylod, en sont la démonstration parfaite et nous proposent des joutes verbales, assez croustillantes. Tout d’abord au Congrès, à Washington « DC » où les héritiers Roy prouvent toutes leurs valeurs.
Néanmoins entre rires et tensions le patriarche s’avère bien décidé à effectuer un sacrifice pour sauver l’entreprise. Le point d’orgue de cette saison, et de la série jusqu’à présent, avec son final d’1h10. « This is Not for Tears » est un melting-pot des plus grandes forces du show. Relations familiales conflictuelles, traîtrises en tous genres, mensonges et manipulations, dans des décors somptueux pourtant gangrénés par un mal virulent.
Il y a ici l’éternel point sur Logan, incapable de céder sa place et qui préfère sacrifié son fils prodigue/pantin Kendall. « Un sacrifice au soleil ». Sauf que dans ses dernières minutes brutales et magistrales, le fils se rebelle, et attaque publiquement son père… Qui dévoile un énigmatique sourire à l’autre bout de son téléviseur. SUCCESSION frappe fort, SUCCESSION frappe juste.
DRAME INTEMPOREL, COMÉDIE TONITRUANTE : LA RECETTE DE LA GLOIRE INVISIBLE
Cette saison enchaîne les moments mémoriaux épisode après épisode, avec une aisance alarmante. Réunion familiale sous tension, opération pour démanteler un média gênant, suicide au sein même des bureaux de l’entreprise et confinement en pièce de survie et bien sûr week-end de négociation pour le rachat d’un média adverse. Jusqu’à sa crise médiatique durant un séminaire, visite et chantage familial, célébration de carrière et annonce tonitruante jusqu’à son audience sous tension auprès du congrès.
Estampillé comme un Drame contemporain aux belles allures, la série aspire évidemment à bien plus que cela. La preuve avec le développement significatif de son intrigue qui se révèle pertinente dans sa profondeur dramatique et traverse tous les âges. La grande force de SUCCESSION 2.0 demeure invariablement son scénario (dont la série remporte cette année un Emmy amplement mérité, mais pas que). Duquel découle des dialogues viscéraux, emplis de sous-propos constant avec nombres d’interprétations remarquables.
D’autant que quelques nouveaux guests majeurs viennent gonfler cette salve d’épisodes. On se souviendra ainsi de l’envoûtant Danny Huston en banquier avide, ou Cherry Jones en actionnaire majoritaire de PGM conservatrice, et bien évidemment Holly Hunter qui jouera brièvement un rôle majeur pour la succession. A noter que celle-ci marque sa présence sur six épisodes consécutifs. Ce qui n’est pas toujours le cas de certains récurrents qu’on aurait aimé voir davantage. (Tel que la vénéneuse Marcia (Hiam Abbass) et le charismatique Stewy (Arian Moayed)).
Et que serait la série sans sa production appliquée ? Sa première saison s’avère déjà éminemment large et contemplative. Cette seconde saison déjauge son curseur avec plus de variété tout en revenant stratégiquement à la grosse pomme, de temps à autre. Ses décors, ses costumes, et naturellement sa bande originale (toujours signée Nicholas Britell) demeurent raffinés. L’ensemble s’impose comme un (quasi) sans-faute.
CONCLUSION
Incognito, SUCCESSION est un véritable bijou dans le vaste univers télévisuel qui s’abat en cette fin de décennie des années 2010. Et contre toute attente, sur HBO, le véritable digne successeur de GOT est là, chez les 1% !
Les + :
- Une saison qui dynamite son concept et le redéfinit
- La fantastique utilisation du potentiel de ses personnages
- L’incroyable pouvoir cruel qu’exerce Logan sur son fils Kendall
- Son mélange de tons, qui allie comédie, drame intemporel et tragédie moderne
- Son format semi anthologique
- Des décors variés et impérieux
- Le cliffhanger final, explosif et décisif
Le – :
- Quelques invraisemblables seconds rôles trop peu exploités
MA NOTE : 18.5/20
CRÉATEUR : Jesse Armstrong
AVEC: Brian Cox, Jeremy Strong, Sarah Snook, Kieran Culkin, Matthew Macfadyen, Nicholas Braun, Alan Ruck, Hiam Abbass,
J. Smith-Cameron, Dagmara Dominczyk, Peter Friedman, David Rasche, Arian Moayed, Justine Lupe,
mais aussi : Holly Hunter, Danny Huston, Fisher Stevens, Rob Yang, Jeannie Berlin, Caitlin FitzGerald, Eric Bogosian,
Larry Pine, Annabelle Dexter-Jones, Ashley Zukerman, avec Harriet Walter, Cherry Jones, et James Cromwell (…)
ÉPISODES : 10 / Durée : 58mn /DIFFUSION: 2019
GENRE : Drame / CHAÎNE : HBO
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