Intelligence Artificielle et avenir du cinéma

Aujourd’hui, l’intelligence artificielle se démocratise de plus en plus et s’intègre dans tous les pans de la société, y compris jusqu’au monde du cinéma. Tour d’horizon de ce que cela implique pour son avenir.

L’IA, c’est quoi ?

Commençons déjà par clarifier ce qu’on entend par « IA » quand on voit passer le terme dans la presse.

L’intelligence artificielle est une branche vraiment très vaste de l’informatique. Elle regroupe de très nombreuses techniques, très différentes les unes des autres, et vont être plus ou moins efficaces pour certaines tâches. Ces techniques sont ce que l’on appelle les fameux « algorithmes ».

Réseaux de neurones

Les algorithmes qui font le buzz actuellement font partie de la famille des réseaux de neurones artificiels. Cette famille propose elle-même de très nombreuses méthodes pour gérer les réseaux de neurones. Mais globalement, le principe reste le même à chaque fois. On entraîne le réseau avec beaucoup de données qu’on lui passe en entrée, et le réseau doit ressortir une réponse. La phase d’entrainement consiste à vérifier que la réponse en sortie est bien celle attendue par rapport à l’entrée. Pendant l’entrainement, on va donc ajuster petit à petit les paramètres internes aux neurones, pour que la sortie s’approche de ce que l’on souhaite. On parle de renforcer la valeur des paramètres.

Image générée par ChatGPT avec le prompt "generate an image to illustrate artificial neural networks"

Une fois l’entrainement terminé, on peut interroger le réseau en lui fournissant en entrée des données qu’il n’avait pas apprises initialement. La sortie sera une sorte de mix d’un peu tout ce qu’il a pu apprendre et qui se rapproche le plus de la réponse qu’on pourrait attendre.

Intelligence illusoire

Pour la faire courte, ces réseaux sont stupides. Vraiment. Ils ne savent pas créer quoi que ce soit. Ils se « contentent » de régurgiter ce qu’ils ont appris en fonction de ce qu’on leur demande grâce à des fonctions mathématiques statistiques. S’ils impressionnent malgré tout, c’est parce que les bases de données sur lesquelles ils ont appris sont monstrueusement grandes. Du coup, ils peuvent s’appuyer sur toute cette connaissance initiale pour donner l’illusion d’une réponse adaptée.

En gros, pour une phrase donnée (le fameux « prompt »), ils déterminent ce qui est statistiquement la meilleure réponse possible. Cette réponse peut être du texte pour des modèles « texte vers texte » comme ChatGPT, ou des images pour les modèles « texte vers image » pour Midjourney ou DALL-E. Mais le principe est exactement le même : une réponse statistique dénuée de sentiment qui imite une réponse humaine. Si on peut avoir l’impression d’une forme d’humanité qui se cache derrière leur réponse, c’est tout simplement parce qu’ils imitent des humains.

La place de l’IA dans le cinéma

L’IA peut servir à pleins de choses dans les métiers créatifs. Des outils comme ChatGPT, peuvent aider un scénariste en lui permettant de piocher de nouvelles idées, ou de changer une tournure de phrase dans un dialogue par exemple.

Image générée par IA sur ChatGPT avec le prompte "generate an image to illustrate a blog post about Artificial Intelligence tools in cinema industry"

Et puis, il y a aussi des outils comme Sora capable de générer des vidéos à partir d’instructions textuelles. Ces vidéos peuvent être dans différents styles : aussi bien du film d’animation 3D, ou des images totalement réalistes.

Dans le monde de l’animation, dès le début d’année 2024, certains studios ont montré qu’il était possible de générer des courts métrages d’animation entièrement grâce à des IA.

Le fondateur de DreamWorks a d’ailleurs déclaré que dans un avenir plus ou moins proche, il serait possible de produire plus rapidement des films d’animation entiers. Ça pourrait être fait avec des équipes beaucoup plus petites qu’actuellement, et donc pour des coûts plus faibles.

D’autres personnalités du monde du cinéma ont pu tester ces outils et font régulièrement des retours assez positifs sur leurs capacités. C’est le cas d’Ashton Kutcher qui se montre assez emballé par son expérience.

Chez les amateurs, ce serait peut-être aussi l’occasion de créer des films de toutes pièces avec des moyens (financiers ou même techniques) quasiment nuls.

Comme on l’a expliqué, Sora peut donc créer des séquences vidéos à partir d’un prompt. Et même s’il a des défauts (comme la gestion de la physique d’après les différents retours), il montre beaucoup de potentiel.

Ça a l’air super ! C’est quoi le problème ?

En réalité, les problèmes sont nombreux. Techniques parfois. Mais aussi éthiques.

Problèmes dans le processus créatif

Vers la fin de la créativité humaine

Premier problème : on a d’un côté ChatGPT qui est capable de produire du texte, et Sora qui est capable de produire une vidéo à partir d’un texte. On peut donc tout à fait imaginer un système où le prompt de Sora est lui-même généré par ChatGPT à qui on lui demandera simplement « crée un film qui va me rapporter des millions ». Du coup, on serait noyé dans un océan de contenus entièrement générés artificiellement, l’humain étant incapable de rivaliser avec la vitesse de production de ce genre d’outils. En prime, toutes ces productions artificielles viendraient « nourrir » les futures IAs. On finirait dans un monde dans lequel seuls les IAs créent, en s’inspirant d’elles-mêmes, et finissant par produire du contenu très lisse, sans saveur. Le cinéma, c’est avant tout de l’art. Si on retire l’humain du processus créatif, où est l’intérêt ? C’est une vision un peu extrémiste, vous me direz, mais je vois tout à fait de gros studios comme Disney ou Netflix, proposer ce genre de contenus sur leurs plateformes de streaming. Vous pourriez obtenir votre propre film sur mesure directement disponible sur votre télévision. Rêve ou cauchemar ?

Factuellement faux

Autre problème : ces IA sont intrinsèquement incapables d’être volontairement factuelle. Elles ne font qu’apporter une réponse statistique. Mais du coup, il existera toujours une probabilité qu’elles racontent n’importe quoi. Elles n’ont pas de réelles connaissances historiques. Elles mettent au même niveau la réalité historique et tout ce qui a pu être imaginé et qu’elles ont apprises. Par conséquent, elle ne voit aucun problème à vous proposer des soldats nazis noirs. Ce qui devient vite un souci quand vous voulez produire un film historique.

Biais cognitifs

Dans une veine similaire mais qui a d’autres conséquences, les IAs tendent à renforcer les biais cognitifs déjà présents dans notre société. Par exemple, du fait de notre société occidental, on représente assez peu de médecin noir. Non pas qu’ils n’existent pas, mais ils sont minoritaires pour tout un tas de raisons sociales. Le problème, c’est que les IAs s’appuyant sur les représentations existantes, elles ont beaucoup de difficultés à générer de telles images comme l’a montré The Register. Dans ces conditions, bonne chance à vous si vous vouliez intégrer un personnage féminin, noir, handicapé, LGBT+ qui devient CEO d’une multinationale.

IA et justice

Si on aborde maintenant des problèmes de justice, de nombreux artistes se plaignent des plagiats possibles avec ce type de technologie. Les réseaux ont souvent été entraînés sur des œuvres protégées par des licences. Ainsi, les réseaux peuvent théoriquement ressortir une œuvre très proche de l’œuvre original avec le prompt qui va bien. Les artistes à l’origine des œuvres sont bien sûr mécontents et on voit déjà apparaitre les premiers procès arriver. Même Scarlett Johanson a accusé OpenAI d’avoir usurpé sa voix. On a aussi pu voir les doubleurs français écrire une tribune indiquant leur peur pour l’avenir de leur métier.

Image généré par IA sur https://perchance.org/ai-photo-generator à partir du prompt "a realistic portrait image of Scarlett Johanson where she is manipulated by an artificial intelligence"

Et qui dit justice, dit aussi justice sociale : l’entrainement des réseaux de neurones impliquent un travail colossal pour étiqueter les données d’apprentissage et pour corriger les sorties. Ce travail chronophage et fastidieux est souvent opéré par des travailleurs sous-payés dans des pays pauvres. Les conditions de travail sont déplorables et vont jusqu’à causer des troubles psychologiques. Le Kenya est ainsi le nouveau siège de ces sous-traitants capables de traiter ce type de demandes. Seul espoir à l’horizon : la création récente d’un syndicat pour tenter d’endiguer ces problèmes.

On voulait des robots qui fassent le ménage pendant qu’on apprenait la musique, on se retrouve avec des robots qui peuvent composer 15 000 chansons à la minute pendant que des travailleurs et travailleuses sont sous-payés à corriger leurs erreurs en boucle.

Gee – LHDG18. IA partout (justice nulle part)

Coûts financiers et écologiques

Pour faire fonctionner un outil comme ChatGPT, il faut beaucoup d’ordinateurs : des supercalculateurs pour les entrainer, et ensuite d’énormes serveurs pour héberger le réseau qui répondra aux utilisateurs. Mais toutes ces machines ont un coût de fonctionnement exorbitant. On parlait de 700 000$ par JOUR pour OpenAI au moment du lancement des premières versions publiques de ChatGPT. Les charges étant monstrueusement élevées, il faut donc pouvoir rentabiliser à un moment ou à un autre. Mais c’est bien sûr plus facile à dire qu’à faire. Dernièrement, un rapport financier parlait même que la société derrière ChatGPT pourrait faire banque route dans les mois à venir. D’autres sociétés d’IA ont déjà dû fermer leur porte depuis le début de l’aventure. Les spécialistes en économie parlent donc déjà de la bulle IA qui devrait exploser à un moment ou à un autre.

Enfin, d’un point de vu écologique, ce type d’IA est une hérésie. La consommation électrique est tout simplement monstrueuse. Une requête auprès de ChatGPT consomme beaucoup plus d’électricité qu’une simple requête Google. Donc si vous avez juste besoin d’avoir une réponse à une question simple, un réseau de neuronne est probablement exagéré. Et au-delà l’électricité requise, la consommation en ressources naturelles pour la fabriquation du matériel est très conséquente. En effet, ces modèles nécessitent bien souvent du matériel dédié spécialement conçu pour eux, et qui ne peuvent pas vraiment servir à d’autres choses. Est-ce qu’on a vraiment besoin de ça à l’heure de l’urgence climatique ?

Conclusion

Qu’on le veuille ou non, l’IA est là et elle s’intégrera dans nos vies. L’industrie cinématographique va forcément se l’approprier d’une manière ou d’une autre. On va probablement voir émerger de nouveaux outils à base d’IA, qui seront au service de l’humain et de sa création artistique. Ce seront des outils innovants sur lesquels les artistes viendront s’appuyer pour proposer des nouvelles œuvres. Sur ces aspects-là, je suis assez favorable à l’idée. À la limite, j’attends surtout que les modèles actuels et futurs deviennent plus efficaces, plus performants. Et surtout, qu’on arrive à résoudre les nombreux problèmes d’ordre éthiques, écologiques ou sociaux, que j’ai pu lister juste avant.

Par contre, on verra aussi l’émergence de nouveaux outils, cette fois, au service du business. Ce seront d’autres outils (ou les mêmes, mais utilisés différemment) qui viendront répondre à des besoins commerciaux. Les grands studios, ou les plateformes de streaming utiliseront l’IA pour réduire les coûts, et vendre toujours plus. De ce point de vue là, j’appréhende énormément l’avenir. Je pense que ces entreprises, exacerbées par les capacités révolutionnaires de l’IA, auront de plus en plus tendance à sortir des œuvres lisses. Ces œuvres qui plaisent au plus grand nombre, qui se produisent vite, mais qui sont oubliables. Elles se consommeront comme on consomme un fast-food. Nous risquons ainsi d’être encore un peu moins spectateur d’une œuvre, et un peu plus consommateur d’un produit.

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