
Dans le cadre d'une rétrospective sur la nouvelle vague du cinéma coréen, retour sur 3 films de 3 réalisateurs qui ont marqué mes premières années de cinéphiles. Et aficionados du genre.
Parmi eux, et au même titre que son compère Bong Joon-ho, le réalisateur Park Chan-wook est l'un des piliers de cette nouvelle vague.
Après un début de carrière oubliable, JSA se dévoile comme "la première œuvre majeure" de son réalisateur. Il marque aussi, le début d'une nouvelle ère pour le cinéma coréen. Pile en l'an 2000.
Inédit chez nous pendant de longues années, Joint Security Area s'est rapidement imposé comme un classique. Et à juste titre.
EN DEUX MOTS : Après deux échecs commerciaux notoires, le jeune réalisateur Park Chan-wook voit sa carrière décollée avec JSA. Film de commande écrit par trois scénaristes et qui adapte un roman de Park Sang-yeon, le metteur en scène y trouve une forme de salut grâce à un succès local conséquent. (6 millions d’entrées). Et surtout une renommée internationale qui va se concrétiser par la suite.
Quoi qu’il en soit, Joint Security Area, qui est aussi l’un des plus gros budgets du cinéma coréen (en 2000) dispose d’un postulat de taille. Entre politique et thriller policier.
Synopsis
A la suite d’une fusillade dans la Zone Commune de Sécurité (Joint Security Area) séparant les deux Corée : deux soldats de l’armée nord-coréenne sont retrouvés morts. Cette affaire donne lieu a un incident diplomatique majeur entre les deux pays.
Afin que la situation ne dégénère pas, une jeune enquêtrice suisse est chargée de mener les auditions des soldats qui étaient en poste… Elle se rend très vite compte que les divers témoignages rendent l’enquête complètement indémêlable… Que s’est-il vraiment passé, ce soir-là, entre les soldats des deux Corée, dans la JSA ?
Ce sujet universel sur la division survient après la terrible famine endémique en Corée du Nord*, appuyant d’autant plus la détresse du peuple coréen. Avec son intrigue qui navigue sur deux tempos et laisse d’abord planer le suspense, JSA se montre toutefois aussi efficace que relativement concis. Pour preuve, avec 1h50 au compteur, le film se pose sur la moyenne basse des productions Coréennes.
*Point historique : En 2000, date à laquelle le film est sorti, la Corée du Nord, dernière dictature stalinienne au monde, est dirigée par Kim Jong-il qui succède à son père décédé en 1994. Il lui faudra toutefois attendre une période de deuil de trois ans pour jouir des pleins pouvoirs.
Il arrive aux commandes d’un pays en proie à une famine endémique qui, selon des ONG autorisées à venir sur place, aurait tué 3,5 millions de personnes entre 1995 et 1998 et poussé des milliers de personnes à fuir le pays. C’est également le début d’une crise nucléaire de plus en plus tendue avec l’Occident.

Qu’est-ce que la JSA ?
La JSA ou Joint Security Area (« zone de sécurité commune ») est la zone sous contrôle de l’ONU située à la frontière commune entre la Corée du Nord et la Corée du Sud, dans la zone démilitarisée (DMZ). Elle fut créée lors de la signature le 27 juillet 1953 de l’armistice de Panmunjeom mettant officiellement fin à la guerre de Corée.
JSA a également été intégralement tournées en studio. Avec pour point d’orgue sa frontière symbolique entre le Nord et le Sud. Ce qui pose presque le film comme un huis-clos, malgré ses différentes infrastructures militaires. Enfin, sous un script supervisé et validé par le cinéaste lui-même, le réalisateur met principalement en scène un trio au cœur de son action. (trois acteurs qui auront par la suite largement l’occasion de briller dans diverses productions de renom.)
De son soldat du Sud (Lee Byung-hun) à celui du Nord (Song Kang-ho), tout deux survivants de l’incident, jusqu’à la Suisse (physiquement et métaphoriquement) représenté par une enquêtrice d’origine coréenne (Lee Young-ae). Ce dernier personnage féminin, central, a d’ailleurs été changer au passage pour éviter un film trop masculin. Une belle réussite dans sa finalité, à l’instar d’un film habilement ficelé.

Neutre comme la Suisse
« La neutralité aide l’oppresseur, jamais la victime. » Le silence encourage le persécuteur, jamais le persécuté. Elie Wiesel, 10 décembre 1986, Oslo
Sous un climax fortement policier, mais avec une légèreté déconcertante, JSA débute son histoire sous un point de vue a la volonté neutre. Celui de Sophie E. Jean donc, Suisse d’origine coréenne, qui va vite s’apercevoir de l’impasse que représente cette affaire diplomatique.
En positionnant un personnage (de surcroît féminin, dans un monde d’homme) aux racines local, mais étrangère à son pays, le réalisateur dresse une analogie percutante de son sujet. Notamment, lorsque l’origine de ses racines paternelles va devenir un levier de pression durant l’enquête.

Faite de nuances, des crises identitaires et d’oppositions de point de vue, son intrigue navigue tout d’abord sur une dynamique de faux-semblants très stimulante. Ici, qui est réellement victime ? Et qui est réellement l’oppresseur ? Sa neutralité – son enquêtrice – ne s’enferme pas, au contraire, dans le silence et n’encourage pas, inconsciemment, un parti plutôt qu’un autre. En revanche, sa dernière partie prouve que ce silence englobe plutôt ses grandes instances (Nord et Sud), via une enquête de façade.
Les tout jeunes acteurs Lee Byung-hun et Song Kang-ho seront, de leurs côtés, les vecteurs parfois insondables de leurs partis respectifs. Les intermédiaires d’un régime démocratique d’un côté, contre communiste de l’autre. Mais sous une définition en termes militaire, « vecteur » représente également un aéronef, un engin capable de transporter une charge nucléaire. Métaphoriquement, le poids de leurs récits, et de leurs actes, demeure d’une importance capitale dont les conséquences peuvent s’avérer désastreuses pour leurs pays.

(J)urisprudence. (S)uisse. (A)mitié.
Le film se révèle pourtant comme l’un des premiers à ne pas considérer les deux Corées comme radicalement ennemies. Via une amitié subtile et qui crève peu à peu l’écran. Ainsi, on peut considérer que c’est cette amitié impossible qui est la réelle victime de l’histoire. Tout comme l’oppresseur, ou le persécuteur, sont ses régimes politiques codifiés, enracinés, et dont la dualité historique demeure intangible.
Joint Security Area dévoile ainsi une deuxième partie conséquente sous forme de long flashback. (au détriment du portrait de son enquêtrice, relégué au second plan). Si son montage perd légèrement en rythme, il gagne en profondeur. Via ce portrait fraternel et bon enfant, JSA révèle un optimisme indéniable qui va naturellement renforcer sa tragédie à venir.

Et pour appuyer son capital sympathie, mais aussi la nuance de ses profils, le récit se compose de deux seconds rôles complémentaires. Autant attachants et légèrement stéréotypés soient-ils. Les portraits de Kim Tae-woo et Shin Ha-kyun présentent des personnalités plus burlesques et pittoresques, issues chacun d’un parti opposé.
Des personnalités surtout faillibles, comme le démontre la révélation sur la fusillade, la nuit en question. Aussi nuancées soient ces failles, c’est précisément via celles-ci que l’incident va tourner vers une tuerie chaotique. L’amitié laissant place à différentes peurs pour un dénouement tragique et sanguinaire.
JSA dissipe ainsi ce sentiment de légèreté pour une notion d’injustice (et de gâchis) sans nom. L’amertume de la tragédie s’avère conséquente via ses sentiments contrits et une pudeur palpable entre ses membres. Son point d’orgue étant le suicide du jeune Sergent Lee Soo-hyeok, sous les yeux ébahis de l’enquêtrice suisse. Autre victime indirecte de ce système politique qui tire les ficelles aux détriments de ses pantins armés cloisonnés par des convictions indirectement imposées.

Conclusion
Un pays. 2 peuples. Une déchirure. Avec Joint Security Area, Park Chan-wook dresse bel et bien le portrait d’un pays divisé en deux et meurtri par celle-ci. Une meurtrissure qu’on retrouve régulièrement dans le cinéma coréen, acerbe vis-à-vis du capitalisme (notamment américain), comme le souligne subtilement cette œuvre fondatrice.
Avec JSA, Park Chan-wook fait également preuve d’un réel sens de la mise en scène. Un point qui, je trouve, ne brille pas toujours dans sa filmographie en dents de scie. (Les moyens alloués au film aidant sûrement ici). Dans tous les cas, il s’agit d’une caractéristique indispensable à la fluidité de son film qui fait invariablement mouche. Et pour tout à chacun, résonne longtemps après son visionnage.
Son montage millimétré, en trois parties distinctes – l’enquête – le flashback – la résolution (suivie d’un épilogue de dix bonnes minutes) – étant la dernière pierre (technique) de cette réussite, son dénouement ne manque de nuances lui aussi. Et laisse à réfléchir sur ce système de division. Malgré ce sentiment critique mordant, on pourra retenir que l’amour et l’amitié n’ont pas de frontières. Aussi mince soit-elle.
Les + :
- Son sujet passionnant et intemporel lorsqu’il aborde la question de la division politique.
- Un film dont l’univers militaire prend vie grâce à des moyens conséquents et crédibles.
- Une mise en scène et un montage parfaitement calibrés et méthodique.
- Une intrigue bien ficelée et qui révèle de belles nuances et surprises en cours de route.
- L’amitié sincère et parfaitement développée au cours de ses flahbacks révélateurs.
- Une très belle distribution, dont les deux stars montantes : Lee Byung-hun et Song Kang-ho.
- Le portrait féminin et neutre de l’enquêtrice suisse, victime indirecte d’un jeu aux dés pipés.
- Une finalité tragique, logique, mais légèrement optimiste si ont exclut ses destins personnels.
Les – :
- Un léger ventre mou à mi-parcours.
- Les profils plus secondaires et perfectibles qui accompagnent nos têtes d’affiche, indispensable, mais attendus.
- Une intrigue qui délaisse un peu trop le portrait de Sophie par la suite.
- Quelques points politiques qui manquent d’éclairages et qui auraient pu appuyer les conséquences diplomatiques de l’incident.
MA NOTE : 16/20

Les crédits
RÉALISATION : Park Chan-wook / SCÉNARIO : Jeong Seong-san, Kim Hyeon-seok, Lee Moo-yeong et Park Chan-wook
AVEC : Lee Young-ae…, Lee Byung-hun, Song Kang-ho, Kim Tae-woo, Shin Ha-kyun (…)
SORTIE (France, en DVD) : 3 Novembre 2009 / DURÉE : 1h50