SHARP OBJECT

Du roman à l’écran, sans étirement

EN DEUX MOTS : un an après le succès de Big Little Lies, HBO réitère un événement télévisuel similaire avec Sharp Objects. Un événement quasi-similaire puisque la mini-série se révèle tout aussi fidèle à son matériel d’origine (l’autrice est scénariste sur la moitié des épisodes, ainsi que productrice) et porte l’accent sur des personnages féminins complexes. Il s’agit cette fois de l’adaptation du premier roman de Gillian Flynn, à qui l’on doit le chef-d’œuvre Gone Girl.

Le show est de nouveau dirigé par une femme, Marti Noxon et c’est surtout Jean-Marc Vallée qui réalise l’intégralité des épisodes. La première est une scénariste TV de renom (connue pour son travail sur Buffy notamment), tandis que le second se distingue (encore) pour sa mise en scène et son montage empreint de réalisme.

Des points communs de taille, même si cette fois, c’est sous le soleil étouffant de l’été que la série est diffusée. Sa diffusion estivale est loin d’être un frein, puisqu’elle colle parfaitement avec l’ambiance moite du show, qui se déroule en fin d’été dans le Sud du Missouri. Son intrigue s’oriente cette fois sur une forme bien plus policière malgré son mélange de thriller dramatique. Dans tous les cas, elle est empreinte de mystères en tous genres.

Camille Preaker, reporter, sort tout juste d’un bref séjour à l’hôpital psychiatrique. Elle retourne dans la ville de son enfance pour tenter de résoudre le meurtre de deux jeunes adolescentes auxquelles elle s’identifie énormément…

Allociné

Amy Adams est l’héroïne brisée de cette mini-série et incarne donc Camille Preaker. Une journaliste profondément alcoolique de retour dans sa ville natale (la sous-peuplée et laide ville fictive de Wind Gap), suite aux meurtres de deux jeunes adolescentes. L’occasion pour elle de raviver des douleurs passées, encrées en (et sur) elle, de façon indélébile.

La plus tranchante nouveauté et mini-série de 2018

Toujours à l'occasion d'un petit marathon HBO via la plateforme MAX, et dans la continuité de la célèbre série Big Little Lies, retour sur l'un de mes coups de cœur de ces dernières années : SHARP OBJECT. 6 ans après (au mois près), drame & policier coïncide toujours merveilleusement pour cette adaptation brillante. 

Le ton est donné dans un nouveau générique découpé à l’image du montage nerveux du regretté réalisateur. Mais au-delà du drame familial, cette nouvelle adaptation est bel et bien traversée de noirceur.

Portrait de famille craquelé.

Pour disséquer l’âme humaine, l’autrice a dressé le portrait très net d’une femme aux lourds traumas. Un personnage complexe et solitaire dont on découvre un corps entièrement ravagé par des lacérations. Qu’elles s’est elle-même infligée.

Y sont inscrits une multitude de mots, aux multiples significations. « Vanish », « Dirt », « Fix », « Ripe », « Closer », « Closer », « Cherry », « Falling », « Milk »… Chacun portant le titre des épisodes dévoilés.

Au fil de la saison, on s’aperçoit très vite que les femmes tiennent les rôles primordiaux de l’intrigue. Toutes les problématiques s’articulent autour d’elles, qu’elles soient des personnages centrales comme plus secondaire. (si on exclut la suspicion de meurtres envers le profil « masculin »). De leur condition la plus bénigne à leurs désirs d’émancipation, de reconnaissance jusqu’à des facettes parfois à peine voilés, la gente féminine de Wind Gap transpire l’hypocrisie.

Sur ce point, Sharp Object est assez reconnaissable à Big Little Lies. L’exemple le plus significatif s’effectue avec le regard apporté à la famille de Camille, du nom de sa mère, les Crellin’s. De sa défunte petite sœur Marian (Lulu Wilson) dont la mort est fondatrice, à sa demi-sœur Amma (Eliza Scanlen) de 20 ans sa cadette, jusqu’à Adora (Patricia Clarkson), sa mère distinguée, mais glaciale. Elles dressent le portrait d’une famille aux nombreux secrets. Naturellement, l’intrigue regorge de nuances ici.

Car comme le faisait si bien son montage dans sa série précédente, Jean Marc-Vallée distille de nombreux éléments passés à l’écran. Durant chaque épisode, par flash, et parfois tel un cauchemar éveillé. Un manque d’attention pourrait laisser passer nombre de détails d’importances pour les moins attentifs. Si elles manquent de scènes concrètes à l’écran, les jeunes Sophia Lillis (merveilleuse en Camille jeune) et Lulu Wilson se distinguent par leurs émotions capturées et leur sororité perdue durant les scènes en question.

La maison de poupées.

Le plus envoûtant à l’écran demeure donc le formidable découpage de son réalisateur. (décuplé par une mise en scène réaliste et enivrante). Celui-ci parsème ainsi, épisode après épisode, de nombreux indices sur le mal qui ronge la magnifique Amy Adams et les raisons de ses automutilations. Des sentiments et des non-dits ambigus. Il s’agit également du portrait d’une bourgade dépassé par la réalité et peuplée d’individus cupide et malheureux. L’image parfaite d’une Amérique faussement puritaine en soi.

S’y distingue quelques personnages insondables jusqu’à ce qu’on lève le voile sur leurs caractères distincts. Patricia Clarkson est impériale dans son rôle de mère protectrice et dérangée. De ses plus simples tocs (les cils arrachés) jusqu’à son comportement passif-agressif effroyable. Il en va de même pour l’Australienne Eliza Scalen, cocktail d’insouciance et de malveillance qui atteint un certain apogée durant sa conclusion choc.

L’emphase est idéale pour les nombreux seconds rôles qui composent l’intrigue. Hélas, une grande partie d’entre eux manquent d’implications concrètes et leurs rôles paraissent sacrifiés en contrepartie d’autres. Notamment dans leurs finalités bien effacées. Chris Messina en inspecteur livré à lui-même s’en sort probablement le mieux comme allié de choix, tandis que Matt Craven fait le job en shérif de la vieille école.

C’est le cas aussi d’Elizabeth Perkins en mégère alcoolique ou la pétillante Madison Davenport en petite amie intéressée. Le syndrome Wind Gap par excellence, même s’il demeure trop sous-exploité.

Enfin, un mot sur sa maison de poupée grandeur nature qui s’affiche comme la demeure des Crellin. Un lieu iconique qui tient une place centrale, elle aussi, dans le récit et qui brille par son charme du Sud. Néanmoins, dans cette magnifique bâtisse, règne une atmosphère étrange et qui explose lors de son final. Un final pas nécessairement sensationnel, mais qui se démarque par l’aboutissement de sentiments contradictoires puis une dernière image fracassante. Le mal en sommeil.

CONCLUSION

Son décorum est donc idéal et contribue à son ambiance moite et faussement idyllique. La bande son dynamise à merveille l’ensemble qui se dévoile sur un format peu encombrant de moins d’une heure sur huit chapitres. Le tout manque peut-être d’un élément choc à mi-saison pour bousculer son intrigue, mais celle-ci s’avère suffisamment consistante pour convaincre sur la longueur.

Sharp Objects se dévoile donc comme une magnifique œuvre de cinéma torturée, à l’ambiance lourde. La structure, qui se solidifie peu à peu, et la retenue sentimental fonctionne en adéquation, comme en efficacité pour ne pas ennuyer. De plus, le show demeure un portrait familial torturé et féministe comme on en voit trop peu. Cela dresse cette nouvelle mini-série HBO comme une œuvre digne d’un Hitchcock de sa génération. Eh oui, je m’emballe, mais j’adore ! 


Les + :

  • L’adaptation fidèle d’un premier roman sombre et féministe qui met en scène la renommée Amy Adams en personnage borderline intense.
  • Pour la mettre en scène, HBO réengage le réalisateur Jean Marc-Vallée. Celui-ci s’était déjà illustré par sa mise en scène réaliste et son découpage fantasmé. De plus, l’auteure participe à l’écriture du scénario et la vétérante Marti Noxon dirige l’ensemble.
  • Au-delà de ses atouts techniques et atmosphériques évident, la mini-série prend vie autant que sa ville fictive du Missouri. Un endroit moite et rongé par les secrets.
  • L’intrigue caractérise habilement les différents portraits qui composent Wind Gap. Des mâles de la vieille école aux fausses beautés qui cultivent l’art du ragot. Leurs points communs : une dépendance massive pour l’alcool.
  • La famille Crellin décryptée sur plusieurs générations. Avec un sens du mal héréditaire. Ses profils féminins avant tout, allant de son héroïne torturée, sa sœur disparue, la plus jeune espiègle, une mère qui cherche à être vénérée jusqu’à une grand-mère seulement évoquée, mais au comportement significatif. Son trio féminin crève ainsi l’écran.
  • Sa maison de poupées grandeur nature et qui tient une place centrale dans le récit. Malgré son charme, elle recèle des mêmes secrets que son montage au puzzle.
  • Un dénouement à l’image du roman : implacable.

Les – :

  • Malgré la maîtrise de son cinéma, le regretté Jean Marc-Vallée ne révolutionne absolument pas sa mise en scène et son montage. Après Big Little Lies, l’artifice fonctionne, la surprise en moins.
  • Un scénario maîtrisé, mais qui manque d’un élément choc pour dynamiser son récit en cours de route.
  • Si sa distribution est aussi complète que bien casté, la grande partie du casting secondaire manque d’approfondissement et d’exploitation à l’écran.

MA NOTE : 16.5/20

Les crédits

CRÉATRICE(s): Marti Noxon & Gillian Flynn

AVEC : Amy Adams…, Patricia Clarkson…, Eliza Scanlen, Chris Messina, Matt Craven, Henry Czerny, Taylor John Smith, Madison Davenport,

Miguel Sandoval, Will Chase, Jackson Hurst, Barbara Eve Harris, Sophia Lillis, Lulu Wilson, et Elizabeth Perkins (…)

ÉPISODES : 8  / Durée (moyenne) : 52mn / DIFFUSION : 2018 / CHAÎNE : HBO

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