
Cop-show made in HBO
À l’occasion de la diffusion du final de la série limitée TASK sur HBO, retour sur la précédente création de Brad Ingelsby : Mare of Easttown. Un petit classique comme la chaîne sait les produire avec succès.
Préambule (au moment de sa sortie)
Seconde nouveauté « HBO Original » de l’année 2021 (une semaine après le fiasco de The Nevers) et première mini-série présentée cette année-là, la chaîne culte dévoile au printemps Mare of Easttown. Dans un genre qu’elle maîtrise depuis toujours : le cop-show.
Dix ans après Mildred Pierce – déjà sur HBO –, Kate Winslet revient en tête d’affiche pour incarner Mare, policière locale dans la petite ville d’Easttown, près de Philadelphie. Une femme usée, qui tente de garder la tête hors de l’eau entre drames personnels et tragédies communautaires.
« Tandis que sa vie va à vau-l’eau, une détective d’une petite ville de Pennsylvanie enquête sur un meurtre’’.
Au premier abord, difficile de distinguer la série de la concurrence tant son synopsis paraît classique. Mais c’était sans compter sur la patte HBO et le talent de toute son équipe. Mare of Easttown est une mini-série d’environ 6 h 45, intégralement écrite par Brad Ingelsby, originaire de la région, et mise en scène par Craig Zobel, à qui l’on doit le film polémique The Hunt (2020).
Pour plus de détails sur le synopsis :
À Easttown, une petite ville de Pennsylvanie, une détective respectée « Mare » Sheehan enquête sur un meurtre local sordide tout en jonglant avec sa vie personnelle qui s’effondre rapidement autour d’elle. Elle fut au lycée une héroïne locale grâce à un tir de basket mémorable. Aujourd’hui, meurtrie par des tragédies personnelles, sa vie a pris un tournant inattendu, elle est la seule enquêtrice dans une brigade de police qui passe la plupart de son temps à traiter des infractions liées à la drogue. Elle porte en parallèle le poids de la perte de son fils et tente de gérer les responsabilités d’une famille bien remplie, incluant sa mère, sa fille et son petit-fils. Pour compliquer davantage les choses, son ex-mari vit à quelques pas de là, aux côtés de sa nouvelle compagne. Sous la pression croissante, Mare n’a qu’une obsession : faire justice dans une ville où tout le monde est un suspect potentiel.

Lueur imperceptible et densité humaine
Réaliste, mais surtout authentique, voilà les deux qualificatifs qui s’imposent face à ce drame policier. Ingelsby parvient à établir un parallèle saisissant entre son héroïne et Easttown elle-même, traitée comme un personnage à part entière : charnelle, abîmée, complexe, profondément humaine. Son regard capte un environnement usé, rongé par la drogue et la désillusion sociale.
L’une de ses réussites réside également dans le fait que le scénariste parvienne à dépeindre un décor à taille humaine, où chaque individu touche de près comme de loin la vie d’un autre au sein de cette communauté fracturé. D’où la réussite de son casting.
Outre sa distribution secondaire enthousiasmante – de Julianne Nicholson (The Outsider) à Jean Smart (Fargo), en passant par Evan Peters (American Horror Story) et Guy Pearce – la série brille surtout par l’interprétation magistrale de Kate Winslet, véritable caméléon. L’actrice britannique confie avoir travaillé intensément pour incarner cette femme-flic disgracieuse de 45 ans, pleine de fêlures mais d’une humanité bouleversante.
Cheveux décolorés, silhouette un peu alourdie, caractère rugueux, penchant pour la boisson, vêtements informes et accent local impeccable : Winslet est parfaite. Elle habite littéralement le rôle sans jamais en faire trop, malgré un épuisement perceptible tant ses tragédies personnels sont d’une densité effrayante.
Le flic qui casse sa pipe
Mare of Easttown, c’est aussi une écriture intelligente et un montage dense, qui donnent de la profondeur à une multitude de seconds (voire tertiaires) rôles. Fausses pistes, faux-semblants, retournements : le récit use de ficelles classiques mais diablement efficaces, équilibrant le drame intime et le polar à suspense.
La plus grande force du récit réside dans son réalisme viscéral. Les destins s’entrecroisent, se percutent avec la brutalité du quotidien, et l’ensemble dégage une sincérité désarmante. La série ne joue pas la carte du mystère à tout prix : elle livre des réponses, aux yeux de ce qui veulent voir.
Au-delà du choc initial qui conclut le pilote, l’intrigue captive par la densité de son drame humain, avant de s’élargir à mi-parcours vers une enquête plus ample et plus sombre. Peu avant sa fin, la série ose un virage narratif poignant et audacieux avant de se recentrer sur l’essentiel : l’affaire et le destin de ses personnages.
Sept épisodes d’une heure, ni plus ni moins : une durée idéale pour ce récit maîtrisé qui entremêle habilement tragédies intimes et suspense policier. Le dénouement final, anti-spectaculaire, illustre à la fois la maîtrise d’écriture d’Ingelsby et la lucidité de son regard sur une Amérique fracturée.
Conclusion
L’entreprise de Brad Ingelsby s’impose avant tout par les failles qui rongent ses personnages. La vérité qu’elle dévoile est amère, reflet d’un monde brisé et d’une Amérique laissée pour compte. Heureusement, une belle lueur d’espoir réside toujours dans son écriture, en plus de son émotion naturelle. Sa plus belle réussite ? Donner vie à tout cela avec une sobriété désarmante – même si la mise en scène de Zobel reste parfois un peu sage – et grâce à des interprétations d’une justesse rare.
Le casting féminin est remarquable dans ce sens : la révélation Cailee Spaeny bouleversante en mère adolescente livrée à elle-même, Sosie Bacon en lutte contre ses démons, Angourie Rice qui confirme son charme naturel, Jean Smart sans surprises magistrale, et Julianne Nicholson d’une intensité exceptionnelle (même si son personnage aurait mérité plus de place).

Mais la véritable héroïne reste Kate Winslet, d’une justesse inouïe, donnant chair à une femme fissurée mais debout. Derrière ses blessures se devine une beauté brute, une lueur d’espoir ténue mais persistante. HBO, fidèle à sa réputation, signe ici une œuvre humaine, sincère et profondément marquante.
EN DEUX MOTS : Mare of Easttown s’impose comme un drame policier d’une rare justesse, où le réalisme social se mêle à une émotion brute. Grâce à l’écriture sincère de Brad Ingelsby et à l’interprétation magistrale de Kate Winslet, la série transcende les codes du cop-show pour devenir une véritable fresque humaine. Malgré une mise en scène parfois trop sage, elle séduit par la profondeur de ses personnages et la finesse de son regard sur une Amérique abîmée mais toujours vivante.
MA NOTE : 16.5/20

🔎 Points forts :
- Kate Winslet exceptionnelle, incarnation bouleversante d’une femme brisée mais résiliente.
- Écriture réaliste et nuancée de Brad Ingelsby, entre polar et drame intime.
- Casting secondaire solide, notamment Jean Smart et Julianne Nicholson.
- Ambiance authentique et ancrage social fort, Easttown devient un personnage à part entière.
- Rythme maîtrisé et rebondissements efficaces, sans excès.
⚠️ Points faibles :
- Mise en scène parfois trop discrète, manquant d’audace visuelle.
- Quelques personnages sous-exploités, malgré un casting riche.
- Début un peu lent, avant que l’intrigue ne prenne toute son ampleur.
Les crédits
CRÉATEUR: Brad Ingelsby
AVEC : Kate Winslet, Julianne Nicholson, Jean Smart, Angourie Rice, Evan Peters, Sosie Bacon, David Denman, Neal Huff,
John Douglas Thompson, James McArdle, Cailee Spaeny, Enid Graham, Joe Tippett, Robbie Tann, Ruby Cruz, Jack Mulhern, et Guy Pearce (…)
ÉPISODES : 7 / Durée (moyenne) : 58mn / DIFFUSION : 2021 / CHAÎNE : HBO
[…] renommé Craig Zobel (découvert avec The Hunt et qui a dirigé, déjà sur HBO, Kate Winslet dans Mare of Easttown) se charge de la réalisation des premiers épisodes. En parallèle, c’est la scénariste […]