CHIEN 51

Le cinéma français en a parfois sous le capot

Canal+ le prouve ces jours-ci avec la diffusion de sa série ambitieuse Les Sentinelles, et sur grand écran, c’est le réalisateur Cédric Jimenez qui se prête à l’exercice délicat de l’adaptation d’une œuvre de science-fiction peu anodine : le roman de Laurent Gaudé, Chien 51.

Dans un futur proche, Paris a été divisé en 3 zones qui séparent les classes sociales et où l’intelligence artificielle ALMA a révolutionné le travail de la police. Jusqu’à ce que son inventeur soit assassiné et que Salia et Zem, deux policiers que tout oppose, soient forcés à collaborer pour mener l’enquête.

Le metteur en scène s’éloigne ici de sa zone de confort — celle du polar inspiré de faits réels (Bac Nord, Novembre, La French) — pour se consacrer à une fiction pure et dure. Contrairement au livre, dont l’action se déroulait dans la ville fictive de Magnapole, Jimenez et son co-scénariste Olivier Demangel ont transposé l’intrigue dans un Paris futuriste et socialement fragmenté.

Mais hormis cette différence de cadre, Chien 51 demeure avant tout un polar, genre que le réalisateur affectionne tout particulièrement. Moins ancré dans le réalisme cru de ses précédents films, il privilégie cette fois une intensité d’action soutenue. Pour ce faire, il s’entoure de ses collaborateurs habituels et d’un casting fidèle, avec en tête Gilles Lellouche (quatrième collaboration) et Adèle Exarchopoulos, qui incarnent les deux policiers au cœur du récit.

Deux stars locales donc, pour un film relativement court (1h45) mais au budget conséquent de 42 millions d’euros — l’un des plus élevés de l’année en France, derrière le Dracula de Luc Besson. De quoi espérer un blockbuster français digne de ce nom ? Pas tout à fait. Mais l’entreprise mérite qu’on s’y attarde.


French Runner

De prime abord, on peut s’interroger sur l’intérêt qu’avait Cédric Jimenez à adapter un roman aussi récent (2022). Film de commande ? Envie d’exploration ? En fouillant, un commentaire du réalisateur éclaire ce choix : Chien 51 prolonge une thématique récurrente de son cinéma — l’individu confronté à la machine. Après les systèmes judiciaire (Bac Nord), terroriste (Novembre) ou mafieux (La French), c’est ici l’intelligence artificielle qui tient ce rôle.

Et sur ce point, Chien 51 est d’une actualité brûlante, s’inscrivant dans la lignée du cinéma d’anticipation ambitieux tout en conservant les codes du polar grand public. Une combinaison stimulante mais périlleuse, car elle exige un scénario à la hauteur de ses ambitions. Or, c’est précisément là que le bât blesse.

Un polar sous tension, mais trop pressé

Le film a le mérite de nous plonger immédiatement dans l’action, sans préambule inutile. La construction du monde — notamment le système des zones — est claire et efficace, même si elle s’appuie sur des clichés bien connus du genre pour illustrer les inégalités sociales.
Le problème réside plutôt dans l’exécution : à vouloir tenir en 1h45 un récit aussi dense, Jimenez survole certains aspects essentiels de son univers. Les dimensions politiques, la logique anti-système, la communication entre les zones ou le fonctionnement de la zone 1 restent largement sous-exploités. Voir inexistante.

L’I.A. m’a tuer

Ce manque d’éclairage global a néanmoins un avantage : il évite les lourdeurs explicatives et recentre le film sur son rythme de polar et ses nombreuses zones d’ombre. Mais l’enquête, malgré ses rebondissements, manque de mordant. Les thèmes de la surveillance, du libéralisme ou du contrôle technologique, déjà mille fois explorés, peinent à se renouveler.

Le salut du film tient surtout dans le duo Lellouche–Exarchopoulos, dont l’alchimie crève l’écran. Même si leur dynamique reste classique, elle donne un vrai souffle au film.
En revanche, le casting secondaire pâtit d’un traitement expéditif : Romain Duris, Artus, Louis Garrel ou Valeria Bruni Tedeschi peinent à exister, réduits à des archétypes — ministre d’autorité, commissaire grande gueule de seconde zone, hacktiviste Anonymous, docteure compatissante — sans réelle consistance.

Paris 2040, crédible mais convenu

Visuellement, Chien 51 s’impose. La mise en scène, nerveuse et maîtrisée, rend son univers crédible malgré des choix de décors proches de notre présent. (Bien que l’année ne soit jamais évoqué dans le film.)
La photographie, les cascades et la direction artistique témoignent d’un savoir-faire rare dans le cinéma français, mais le montage, parfois hâtif, nuit à la cohérence globale.


Conclusion

En somme, le film s’avère être un polar d’anticipation typiquement « jimenezien » : nerveux, efficace, traversé d’éclats de mise en scène, mais aussi frustrant dans son écriture.
S’il trouve un équilibre entre spectacle et introspection, il échoue à exploiter pleinement sa mythologie de science-fiction et ses seconds rôles.
Malgré ses limites narratives, il reste le blockbuster français idéal de cet automne : un film certes plus « bête que méchant », mais pas dénué de piquant.
Un divertissement de qualité, qui manque un peu de mordant, mais pas de style.


EN DEUX MOTS : Avec Chien 51, Cédric Jimenez signe un polar d’anticipation aussi ambitieux que frustrant. S’il impressionne par sa mise en scène nerveuse, son duo d’acteurs charismatiques et son univers dystopique crédible, le film peine à donner toute la mesure de son propos. Trop resserré pour explorer pleinement ses enjeux politiques et son univers futuriste, il finit par privilégier l’efficacité à la profondeur. Chien 51 reste néanmoins un divertissement solide et rare dans le paysage français — un blockbuster à la fois imparfait et stimulant, plus mordant dans la forme que dans le fond.

Points forts

  • Réalisation maîtrisée : mise en scène énergique, rythme soutenu, photographie soignée.
  • Duo d’acteurs convaincant : alchimie évidente entre Gilles Lellouche et Adèle Exarchopoulos.
  • Univers crédible : Paris futuriste cohérent, esthétique réaliste et immersive.
  • Ambition rare pour le cinéma français : tentative réussie de mêler polar et science-fiction.
  • Sens du spectacle : scènes d’action efficaces, tension constante.

Points faibles

  • Scénario trop condensé : manque de développement du monde, des enjeux politiques et sociaux.
  • Thématiques convenues : IA, surveillance et contrôle traités sans véritable originalité.
  • Personnages secondaires sous-exploités : figures archétypales sans profondeur.
  • Cohérence narrative inégale : transitions abruptes, montage parfois maladroit.
  • Univers dystopique sous-exploité : l’aspect science-fiction reste en surface.

MA NOTE : 14.5/20


Les crédits

RÉALISATION : Cédric Jimenez / SCÉNARIO : Olivier Demangel & Cédric Jimenez

AVEC: Gilles Lellouche & Adèle Exarchopoulos, Louis Garrel, Romain Duris, Valeria Bruni Tedeschi, Artus (…)

SORTIE (France) : 15 Oct. 2025 / DURÉE : 1h45

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