
Si l’année est loin d’être chargée en productions HBO Original (2026 sera d’ailleurs consacrée à l’univers Game of Thrones), on peut (presque) toujours compter sur la mythique chaîne américaine pour livrer des shows de qualité. Après une troisième saison en demi-teinte pour l’anthologie The White Lotus et surtout la deuxième saison du mastodonte The Last of Us, le retour de l’auteur Brad Ingelsby avec « TASK« était forcément attendu par les amateurs du genre sur la plateforme HBO Max.
Trois ans déjà après sa formidable série limitée Mare of Easttown, le scénariste poursuit son partenariat avec HBO et livre une nouvelle œuvre policière dans la même veine. Si la magistrale Kate Winslet laisse la place à deux leads masculins en têtes d’affiche, il conserve l’ambiance si particulière (et majoritairement white trash) de la Pennsylvanie comme décor de fond.
Quant à sa forme, il s’agit d’une nouvelle série limitée en sept épisodes copieux (comme sa prédécesseure), qui porte son regard sur deux mondes opposés : fédéraux contre criminels.
Dans la périphérie industrielle de Philadelphie, un agent du FBI supervise une équipe spéciale dont la mission est d’éradiquer une succession de cambriolages orchestrés par un père de famille insoupçonnable.

Heureusement, et sans réelle surprise, le talent de Brad Ingelsby transparaît : son script déborde de nuances et de finesse. La Pennsylvanie reste son terrain de jeu favori — au point d’être devenue presque le nouvel épicentre du polar télévisuel, comme en attestent deux récentes productions cette année (La Rivière disparue, déjà sur HBO Max, et Dope Thief avant elle). Mais Ingelsby connaît ces terres mieux que quiconque : il en maîtrise la rugosité, les marges, la mélancolie poisseuse, et comme dans Mare of Easttown, il parvient à en tirer toute la substance dramatique.
Pennsylvani(a) Dream 🎶
Si l’on pouvait légitimement craindre une redite, TASK déplace son intrigue vers une zone plus rurale, baignée d’une météo plus clémente. Cela ne l’empêche pas de scruter la face la plus crasseuse et poisseuse — donc la plus authentique — de cette région des États-Unis, marquée par la plaie de la drogue. Le fentanyl y occupe d’ailleurs une place centrale, aussi nuancée qu’adéquate puisqu’il peut conduire à une porte de sortie…
Est-ce suffisant pour se démarquer ? Surtout après la petite claque qu’avait constituée son précédent polar ? Oui, grâce à ses thèmes maîtrisés et un genre plus soutenue. Entre autres choses…
À l’écran, cinq ans après son double rôle percutant (déjà sur HBO), Mark Ruffalo endosse avec une justesse implacable la peau d’un agent du FBI désabusé. Un rôle qui lui va comme un gant. Plus excitant encore, on retrouve face à lui le talentueux Tom Pelphrey, encore trop discret mais qui s’illustre de plus en plus sur le petit écran. À eux deux, ils orchestrent un jeu du chat et de la souris d’une simplicité trompeuse, mais qui brille par sa justesse et sa tension contenue.

Collision
Sa justesse, on la doit à son auteur, omniprésent sur l’ensemble des épisodes. Et dès son pilote, TASK garde quelques cordes à son arc, refusant de dévoiler trop vite son tempo dramatique — qui s’avérera percutant.
Dans un premier temps, c’est surtout le profil criminel de Robbie (Tom Pelphrey, donc) qui a retenu mon attention. Sous ses airs de père (et d’oncle) dépassé malgré ses bonnes intentions, il mène une double vie : éboueur le jour, et simili Robin des Bois la nuit, ciblant les criminels. Physiquement, Pelphrey s’impose à l’écran : gravité brute, look de plouc assumé (tatouages kitsch, barbe et cheveux longs), mais aussi une douceur inattendue qui tranche avec son profil de bagarreur. Tout cela compose l’image d’un clash dramatique annoncé, à la fois inévitable et tragique.

Sous la caméra et l’image assez naturelle de Jeremiah Zagar (pour 4 épisodes), le récit policier demeure d’une crédibilité idéale. À l’instar de sa Task Force mener par le personnage de Mark Ruffalo. Et justement, preuve d’un récit dramatique qui en a sous le coude, son deuxième épisode démontre toute la nuance qui entoure ses noyaux familiaux. Et une fois encore, Brad Ingelsby tape là où ça fait mal. C’est donc sans surprise que l’auteur parvient à dresser le portrait très juste d’un ancien prêtre devenu alcoolique. Avant d’être un agent du FBI soucieux.
The Place Beyond the Pines 🌲
Tout aussi élaboré, le scénariste parvient sans mal à dresser les portraits affûtés d’une belle palette de second rôle. S’y démarque une Emilia Jones (aperçue dans Locke & Key ou CODA, remake US de La Famille Bélier) époustouflante en jeune adulte au physique rebelle, mais au comportement responsable après une adolescence volée.
Plus secondairement encore, on peut apprécier les présences de Raúl Castillo (en partenaire du crime et ami de toujours) ou la jeune Silvia Dionicio en fille adoptive tiraillée entre deux feux. On peut également noter la présence de la relativement discrète Martha Plimpton en supérieure grande gueule au sein du bureau. Un rôle moins récurrent que ses subalternes, mais tout aussi efficace par son positionnement juste dans l’intrigue.

Autant de visages secondaires qui, chacun à leur manière, densifient le drame et donnent à TASK cette profondeur humaine qui la distingue des polars plus conventionnels. D’autant plus qu’il est difficile de ne pas citer le trio qui accompagne notre tête d’affiche au sein de la Task Force. Présenté avec un naturel et un humour bienvenus, en plus d’une belle complémentarité. (On retrouve d’ailleurs un Fabien Frankel nettement plus appréciable et nuancé que dans House of the Dragon, même si ici se sont ses collègues féminins qui lui vole la vedette).

La pente glissante
La série n’oublie pas pour autant son versant le plus sombre : celui d’un dangereux groupe de bikers trafiquants, qui offre quelques accès de violence réaliste d’une intensité saisissante. Jamie McShane et Sam Keeley sont d’ailleurs très convaincants respectivement et eux-aussi dans leurs rôles moins ambivalents ou plus théoriquement d’antagonistes. Mais c’est exactement ce qu’on attend aussi d’un polar de cette trempe, d’autant plus que son format ramassé en sept épisodes lui donne une efficacité redoutable.
D’ailleurs, sur la longueur, TASK ne ménage pas son suspense. (même si elle manque de tension parfois, comme le démontre une scène charnière à mi-saison). Sur ce point ce thriller dramatique se distingue de la précédente série de Brad Ingelsby. Celui-ci parvient à livrer un exercice de genre globalement soutenu ou le destin de ces personnages s’entrecroisent habilement jusqu’à l’inévitable collision. Et si, comme je le mentionnais plus haut, la mise en scène prévaut davantage pour sa tension dramatique à l’écran que le bouillonnement d’un thriller viscéral, la série fait preuve d’un sens du tempo très réussi.

Ainsi, si son format demeure resserrer la durée de ces épisodes compil l’heure complète à chaque visionnage. Et c’est sa vision chorale des événements qui permet au show de se maintenir avec succès sur cette longueur justement. Cependant, après une suite de péripéties compilé, resserré et soutenue, la série limitée nous amène dès sa seconde partie sur une pente glissante qu’elle doit dès lors assumer.
Résultat : c’est une réussite audacieuse, dans laquelle l’auteur n’a pas peur des ruptures de ton. C’est à la fois dramatique, sombre, et pourtant traversé de lumière et d’espoir. Et s’il serait dommage d’en dévoiler davantage tant la série repose sur ses croisements narratifs, une chose est sûre : TASK m’a touché en plein cœur.

Conclusion
Ainsi, avec sa nouvelle série, le scénariste Brad Ingelsby dévoile un polar qui semble familier, mais plus frontale. Via son rythme plus soutenu et un décor plus rurale et lumineux il parvient aisément à éviter une redite tout en gardant une essence authentique de la Pennsylvanie. Sa plus grande force réside dans sa distribution exemplaire, avec en tête un duo d’acteurs crédible dans leurs rôles distinctes.
Un double portrait en opposition, mais aux frontières volontairement brouillées : les deux camps partagent les mêmes failles, la même humanité cabossée. Leur rencontre, inévitable, s’avère aussi cruciale qu’émotionnellement juste.
TASK ne se repose pourtant pas uniquement sur ses doubles têtes d’affiche puisque la distribution secondaire s’avère extrêmement solide elle aussi. Dans un même temps, elle permet au créateur de faire circuler des grands thèmes : les liens familiaux brisés, la dualité morale, l’environnement social imparfait, l’amertume de la vengeance et surtout la Foi. La série questionnant l’individu sur le sens du pardon et de la justice par exemple.
Avec sa série, Brad Ingelsby aborde des thèmes classique du polar, mais grâce à ses personnages en crises, fragiles ou abîmés, parfois dépassés par leurs émotions, il traite son sujet avec une profondeur émotionnelle plus proche du drame social. Et c’est précisément ici que la série fait la différence puisqu’au final, TASK réussit là où beaucoup échouent : faire du polar un drame profondément humain.
EN DEUX MOTS : En sept épisodes tendus et sensibles, TASK confirme le talent de Brad Ingelsby pour mêler polar et drame humain. Si l’ombre de Mare of Easttown plane encore, la série trouve sa propre voix grâce à une écriture fine, une Pennsylvanie toujours aussi vivante et un duo Ruffalo–Pelphrey d’une justesse bouleversante. Derrière sa noirceur, TASK brille par sa sincérité et son regard sur les failles humaines. Un polar familier, peut-être, mais d’une émotion rare.
MA NOTE : 17.5/20

🎯 Points forts de la série
1. L’écriture de Brad Ingelsby
- Scénario d’une grande finesse, empreint de nuance et de réalisme émotionnel.
- Capacité à ancrer le polar dans le drame humain, sans céder au spectaculaire gratuit.
- Dialogues sobres mais percutants, portés par une authenticité rare.
2. L’ancrage en Pennsylvanie
- Décor identitaire et viscéral, filmé comme un personnage à part entière.
- Ambiance poisseuse et sociale, reflet d’une Amérique en marge, marquée par la drogue et la désillusion.
- Utilisation d’un environnement plus rural et lumineux que dans Mare of Easttown, évitant la redite.
3. La mise en scène de Jeremiah Zagar
- Réalisation naturelle, fluide et organique, donnant une impression de réel.
- Très belle gestion du ton et du rythme, oscillant entre tension dramatique et respiration émotionnelle.
4. Le duo principal : Mark Ruffalo & Tom Pelphrey
- Ruffalo : impeccable en agent du FBI désabusé, juste et humain.
- Pelphrey : révélation de la série, magnétique en criminel cabossé et tragique.
- Leur relation forme un double portrait en miroir, d’une intensité émotionnelle exceptionnelle.
5. La galerie de seconds rôles
- Emilia Jones bouleversante, Fabien Frankel humainement appréciable.
- Un casting secondaire cohérent et nuancé, qui donne chair au monde de la série.
- Le trio de la Task Force apporte une touche d’humour et d’équilibre bienvenus.
6. Les thématiques fortes
- Dualité morale, rédemption, culpabilité, foi, famille brisée.
- Un propos qui dépasse le polar pour toucher au drame social et spirituel.
- La bande-son de Dan Deacon, discrète et parfois lumineuse.
7. Le ton et le format
- Audace dans les ruptures de ton : entre noirceur et lumière, violence et espoir.
- Format resserré (7 épisodes) parfaitement adapté à la densité du récit.
- Un récit complet avec une réelle cohérence dans son déroulement.
⚖️ Points faibles de la série
1. Un air de déjà-vu
- Inévitable comparaison avec Mare of Easttown, qui reste plus marquante.
2. Un rythme parfois trop mesuré
- Tempo dramatique retenu, notamment dans les premiers épisodes.
- Moins de tension immédiate que dans les standards du polar plus classique.
3. Pas de révolution de genre
- TASK ne réinvente pas le polar, préférant creuser ses émotions plutôt que multiplier les rebondissements.
- Ce choix peut désarçonner certains spectateurs en quête d’action ou de surprises.
Les crédits
CRÉATEUR : Brad Ingelsby
AVEC : Mark Ruffalo & Tom Pelphrey, Fabien Frankel, Emilia Jones, Thuso Mbedu, Raùl Castillo, Jamie McShane, Alison Oliver, Sam Keeley, Phoebe Fox, Silvia Dionicio, et Martha Plimpton,
mais aussi : Stephanie Kurtzuba, Margarita Levieva, Mickey Sumner, Elvis Nolasco, Ben Doherty, Jack Kesy, Isaach De Bankole, et Mireille Enos (…)
ÉPISODES : 7 / Durée moyenne : 1h / DIFFUSION : 2025 / CHAÎNE : HBO