
ALIEN : la saga renaît encore
C’était sans doute l’une des attentes majeures de l’année. Depuis 1979, la franchise ALIEN n’a cessé de se réinventer : suites, prequels, simili reboots… Après l’échec commercial de Covenant en 2017, Ridley Scott a laissé le Xénomorphe en sommeil. Mais en 2023, Fede Álvarez a redonné un souffle à la saga avec Romulus. Un film imparfait, sans grosses prises de risques, certes, mais visuellement irréprochable, nerveux et jubilatoire.
Un an plus tard, l’univers franchit une nouvelle étape : pour la première fois, Alien s’invite sur le petit écran, sous la bannière de Disney+. Aux commandes, Noah Hawley, showrunner acclamé pour Legion et Fargo. Et cette fois, l’action ne se déroule plus dans l’espace… mais sur Terre. Un terrain de jeu inédit, porteur de promesses, d’autant plus que Hawley a déjà prouvé son talent pour revisiter des œuvres cultes avec audace et singularité.
Lorsqu’un mystérieux vaisseau spatial s’écrase sur la Terre, une jeune femme et un groupe de militaires font une incroyable découverte sur place qui les confronte à la plus grande menace que la planète n’ait jamais connue.
En 2120, la Terre est gouvernée par cinq corporations : Prodigy, Weyland-Yutani, Lynch, Dynamic et Threshold. À cette époque, les cyborgs (humains dotés de parties biologiques et artificielles) et les synthétiques (robots humanoïdes dotés d’intelligence artificielle) cohabitent avec les humains. Mais la donne change lorsque le jeune prodige, fondateur et PDG de Prodigy Corporation, dévoile une nouvelle avancée technologique : les hybrides (robots humanoïdes dotés d’une conscience humaine).
Le premier prototype hybride, baptisé Wendy, marque une nouvelle ère dans la course à l’immortalité. Après la collision du vaisseau spatial de Weyland-Yutani avec Prodigy City, Wendy et les autres hybrides rencontrent des formes de vie mystérieuses, plus terrifiantes que quiconque aurait pu l’imaginer…
Prequel dont l’action se déroule deux ans avant les événements du film de Ridley Scott « Alien » (1979).

En plaçant son action sur notre planète bleue, ALIEN: Earth avait l’occasion d’élargir un univers jusqu’ici confiné au huis clos, en esquissant – même sommairement – les grandes compagnies et conglomérats qui dominent une Terre futuriste. Une promesse riche en possibilités, tant ce terrain de jeu inédit semblait propice à une nouvelle respiration. Noah Hawley choisit ainsi de centrer son intrigue sur une société inédite, Prodigy, et d’introduire de nouveaux protagonistes : les hybrides, en plus des cyborgs et des traditionnels androïdes.
[Cahier des charges]
Dans cette perspective, la série prolonge l’amorce initiée par Ridley Scott en 2012 avec Prometheus, qui questionnait déjà la coexistence avec des êtres artificiels, tout en explorant la place de l’homme et de Dieu dans l’univers. Mais le showrunner parvient-il vraiment à dépasser ce cadre thématique déjà usé pour lui insuffler un souffle neuf ? Hélas, pas fondamentalement. Car la série reste, elle aussi, prisonnière d’un cahier des charges lourd et de références obligées.

Menu de résistance, en entrée.
Entre son format inédit et la vision atypique de Noah Hawley, ALIEN: Earth parvient à offrir un spectacle globalement à la hauteur de son potentiel, malgré un chemin vite semé d’embûches. Quelques surprises jalonnent toutefois le parcours. Avec deux épisodes proposés dès sa sortie mi-août (soit déjà un quart de la saison), la série donne un aperçu clair de ses ambitions : un récit truffé de références, une distribution hiérarchisée et quelques élans gore plutôt réjouissants.
Le pilote, d’une bonne heure, se révèle aussi imparfait que généreux. Son plan d’ouverture, pastiche assumé du réveil à bord du Nostromo en 1979, donne le ton : hommage et variation. Entre l’introduction d’un « Neverland » central à l’intrigue et le crash spectaculaire d’une cargaison sur une Terre ultra-capitaliste, le scénariste et réalisateur alterne exposition et morceaux de bravoure avec une mise en scène qui cherche constamment l’équilibre entre respect du mythe et appropriation personnelle. Seulement un temps, hélas…

Dotée de moyens colossaux – il n’en fallait pas moins pour rendre justice à l’ampleur de son univers de dark SF –, la série tente de nous plonger sans détour en plein cauchemar. Et elle y parvient aisément dès le second épisode, une fois les bases posées, et ce, après un montage parfois précipité favorisant l’urgence au mystère.
ALIEN: Earth ne brille jamais autant que sous la direction de Noah Hawley (réalisateur de deux épisodes étroitement liés), qui pousse certains curseurs de la saga à leur paroxysme – pour notre plus grand plaisir. Le reste de la mise en scène, confié à Dana Gonzales (Fargo S.4 et 5) et à Ugla Hauksdóttir, convainc moins. Mais entre son bestiaire culte, quelques ajouts discrets et des élans gores macabres, ultra-violents et jouissifs, la série profite d’une aisance créative qui lui sied parfaitement.

En terrain hostile.
Ainsi, si le xénomorphe demeure l’iconique best-seller de son bestiaire, le showrunner introduit un lore d’autant plus large aujourd’hui. Une bonne façon de redynamiser son univers de dark S.F. via plusieurs menaces inédites à l’écran. Les découvertes macabres sont donc légion, le bestiaire effrayant, et le rythme de la série pose son suspense en conséquence. (sous une bande son trop minimaliste hélas). Parfois au détriment de légères longueurs et bien que sa fin de saison se révèle bien en deçà toutefois.
Et qui dit suspense dit personnages pour l’incarner. Sur ce point, la série ne lésine pas : quatorze récurrents, épaulés par quelques seconds rôles et surtout des figurants en guise d’en-cas. Au centre, des profils variés qui réservent parfois de belles surprises, mais souffrent aussi de manques de nuances flagrants. Reste que l’une des trouvailles les plus marquantes réside dans les hybrides, aux caractérisations encore perfectibles mais aux promesses intrigantes.

Passées les prémices de son pilote, ALIEN: Earth met en avant son jeune casting de façon marquante – quitte à tourner parfois en rond. Une partie de ses héros sont des enfants dont la conscience est piégée dans un corps d’adulte. Leurs réflexions, réactions et touches d’humour juvéniles s’entrechoquent avec un univers implacable, pour un résultat à double tranchant. Si cette légèreté apporte un souffle bienvenu, elle ne fonctionne pas toujours, tandis que le manichéisme affiché par Prodigy apparaît daté et souvent dépourvu d’ambiguïté.
Weyland-Yutani, Lynch, Dynamic, Threshold, Prodigy…différents noms, mêmes intentions.
Néanmoins, sous le regard de son jeune fondateur détestable avant d’être simplement horripilant (Samuel Blenkin, loin d’être le personnage le mieux écrit), on mesure aisément l’attrait que représentent ces nouvelles créatures pour la pérennité de l’entreprise – autant qu’elles constituent une menace. Qu’il s’agisse de la cargaison échouée ou de l’exploitation des hybrides encore en essai, tout ramène à cette même idée. Hawley y interroge alors la notion de divinité et de transcendance de la vie, mais sous un format inédit.

C’est sur la durée qu’ALIEN: Earth se distingue de ses aînés. Pour le meilleur parfois, comme pour le pire. Son format long lui permet d’explorer plus en détail des pans d’un univers naturellement riche : les dynamiques des mégacorporations, des climax horrifiques plus variés, ou encore des interactions inédites entre espèces. Mais, à défaut du rythme soutenu d’un long métrage de deux heures, la série peine parfois à trouver son équilibre à l’écran.
Sur huit épisodes, la saison alterne ainsi les fulgurances et les creux, avant de s’achever sur une fin amère. Le vrai problème réside toutefois dans sa mythologie : cinq corporations censées remplacer les gouvernements pour se partager le pouvoir. Une idée prometteuse… mais à peine exploitée. La rivalité entre Prodigy et Weyland-Yutani se réduit à quelques échanges exaspérants, oscillant entre condescendance et fausse cordialité. Le résultat sonne creux, et surtout désespérément convenu.

Un monde fait d’hommes et de machines. Entre autres choses…
Au milieu de ces inégalités, on peut tout de même compter sur une technique très solide : ambiance anxiogène et étrange parfaitement maîtrisée, effets spéciaux soignés et décors fidèles à l’univers. Le casting, globalement attractif, participe aussi à la réussite. On y retrouve une lumineuse Wendy (Sydney Chandler, enfin au premier plan), première hybride en quête de sens, son frère (Alex Lawther, étonnant de justesse dans un rôle soucieux), ou encore Morrow (Babou Ceesay, intense), cyborg déterminé qui relance avec force le parallèle entre l’homme et la machine.
Dans un registre similaire, difficile de passer à côté de la présence magnétique de Timothy Olyphant dans la peau de Kirsh. Un androïde charismatique, comme souvent dans la saga, mais ici encore parfaitement intégré à l’intrigue.

Hélas, à mi-parcours, même notre héroïne et plusieurs personnages secondaires accusent des errances déjà bien connues. C’est particulièrement vrai pour les hybrides, vite réduits à des figures impressionnables ou manipulables, jusqu’à atteindre leurs limites narratives. La fin de saison le confirme, en rendant chacun de ces personnages savamment exaspérant.
Au-delà d’un casting parfois belliqueux ou sous-exploité (je pense à l’excellente Essie Davis ou encore à la « clique de Peter Pan », cantonnée à des traits enfantins), ALIEN: Earth souffre aussi de nombreuses incohérences. Celles-ci se concentrent surtout dans les scènes d’action, où la sécurité de l’île laisse cruellement à désirer. Un défaut qui frôle parfois l’absurde et brise l’immersion dans cette fable horrifique, comme le démontre l’avant-dernier épisode, Emergence, qui précipite ses événements les plus terribles de manière maladroite. De belles occasions manquées, en plein cauchemar…

Conclusion
Cette première saison se conclut par un final plus contrasté : un peu court et entaché de défauts, mais toujours stimulant malgré certaines frustrations. D’autant qu’il laisse grande ouverte la porte à une suite.
Hélas, avec une fin de saison nettement moins exaltante que le début de l’aventure, la série nous quitte sur une note nuancée. On peut également regretter que la planète Terre ne soit qu’un simple décor de fond dans l’intrigue, tandis que laboratoires et grands complexes demeurent les seuls véritables décors de profondeur.
EN DEUX MOTS : Alien: Earth s’impose donc, au final, comme une déception inévitable. Non pas parce que Noah Hawley manque de talent, mais parce que sa vision, pourtant singulière, se révèle ici trop sage et convenue pour une franchise qui exige plus de radicalité.
Et pourtant, la série ne manque pas d’arguments : situer une grande partie de l’intrigue sur Terre ouvre des perspectives inédites, le nouveau bestiaire réserve de vraies réussites, la mise en scène soignée rend justice à l’esthétique rétro-futuriste, et les élans gore rappellent avec vigueur jusqu’où l’ADN de la saga peut aller. À cela s’ajoutent un casting parfois habité (de Babou Ceesay à Timothy Olyphant), plusieurs séquences de suspense particulièrement efficaces, ainsi qu’un démarrage solide et prometteur.
Mais ces qualités s’effritent au fil de la saison : rythme en dents de scie, ventre mou au milieu, personnages inégaux et mythologie sous-exploitée. Résultat : une première saison contrastée, qui honore par instants l’héritage d’Alien, mais s’avère au bout du compte frustrante.
Petite particularité de cette (large) critique : la série recèle autant de qualités que de défauts, répartis sur bon nombre de ses caractéristiques. Ceux-ci sont mis en évidence à l’aide d’un code couleur identique.
✅ Les points forts
- Le choix judicieux de Noah Hawley (Légion/Fargo) à la barre de la série. Même si…
- Le contexte et le format inédit de la série, riche de possibilités, puisqu’il place (en grande partie) son action sur Terre.
- Un nouveau bestiaire qui réserve quelques belles surprises et reste globalement bien exploité au fil de la saison.
- Des visuels et une technique solides, à la hauteur de l’univers rétro-futuriste.
- Des élans gore sans retenue graphique.
- Quelques gueules de cinéma qui font mouche (Babou Ceesay, Alex Lawther et Timothy Olyphant en tête)
- Plusieurs scènes qui exploitent intelligemment leurs climax de suspense.
- Un début de saison soutenu et prometteur.
❌ Les points faibles
- Un showrunner qui adoucit son regard affûté pour un cahier des charges qui semble écrasant. (sur certains de ses aspects du moins)
- Une série qui n’exploite que trop peu son contexte inédit et ce qui compose son univers. (À l’instar de ces conglomérats qui règnent en maître sur terre).
- Quelques incohérences et inepties qui agacent en plein cauchemar.
- Une bande son prometteuse (celle qui résonne dans le générique le prouve), mais finalement trop minimaliste.
- La caractérisation de certains personnages (notamment ses hybrides) aussi limités qu’exaspérante. (en plus de la sous-exploitation d’autres profils prometteurs)
- Un rythme très inégal.
- Une fin de saison qui additionne ses défauts et nous détache de ses atouts.
MA NOTE : 14.5/20

Les crédits
CRÉATEUR : Noah Hawley
AVEC : Sydney Chandler…, Alex Lawther, Babou Ceesay, Samuel Blenkin, Essie Davis, Adarsh Gourav, Erana James, Jonathan Ajayi, Lily Newmark,
David Rysdahl, Diêm Camille, Moe Bar-El, Kit Young, avec Adrian Edmondson, et Timothy Olyphant, mais aussi : Sandra Yi Sencindiver, Richa Moorjani (…)
ÉPISODES : 8 / Durée moyenne : 55mn / DIFFUSION : 2025 / CHAÎNES : Disney + / FX