
Afin de boucler (partiellement) la boucle sur cette rétrospective de la nouvelle vague coréenne, le film MOTHER de Bong Joon-ho s'impose comme un candidat de choix.
Non seulement, cette critique revient (et complète, presque) la riche filmographie de l'éminent réalisateur, mais il s'agit, en plus, d'une découverte totale pour ma part.
Son 4e film est également, et surtout, l'une des œuvres les plus plébiscités du cinéma coréen. Comme le prouve sa moyenne de critique presse (4.4/5) pour 21 avis.
EN DEUX MOTS : Après son petit premier film, Bong Joon-ho s’est imposé comme un réalisateur incontournable de la nouvelle vague coréenne grâce à deux classiques de genre instantanés. Memories of Murder (2003) pour le polar, et The Host (2006) pour le film de monstre. Avec 3 ans d’intervalle encore, 2009 marque son retour et la revisite d’un nouveau genre éculé : le mélodrame. MOTHER s’inscrit pourtant, et également, dans le genre sinueux du Thriller et dispose de son lot de surprises.
Une veuve élève son fils unique Do-joon qui est sa seule raison d’être. A 28 ans, il est loin d’être indépendant et sa naïveté le conduit à se comporter parfois bêtement et dangereusement, ce qui rend sa mère anxieuse. Un jour, une fille est retrouvée morte et Do-joon est accusé de ce meurtre.
Afin de sauver son fils, sa mère remue ciel et terre, mais l’avocat incompétent qu’elle a choisi ne lui apporte guère d’aide. La police classe très vite l’affaire. Comptant sur son seul instinct maternel , ne se fiant à personne, la mère part elle-même à la recherche du meurtrier, prête à tout pour prouver l’innocence de son fils…
Bong Joon-ho s’emploi à délivrer la lutte sans détour d’une mère, sous une vision tout aussi frontale et sans concessions. Et ce, dans un drame conséquent de 2h10. Pour cela, l’accent est mis sur la psychologie et le comportement de son personnage central. À savoir la « mère », symbole par excellence d’une lutte instinctif et maternel pour protéger son enfant. Et pour l’incarner, le réalisateur fait appel à une grande actrice de son pays : Kim Hye-Ja.

L’actrice de presque 70 ans à l’époque, dont près de 50 ans de carrière, demeure une icône pour les Coréens. Qui la caractérise justement comme le visage même de cette figure maternelle ultime, prête à tous les sacrifices pour sa progéniture. Pourtant, le metteur en scène y décèle quelque chose de plus. Une énergie plus hystérique, contrite, mais qui ne tarde pas à exploser et à tout faire brûler autour d’elle. (à l’image d’une loupe sur laquelle toute l’énergie s’y accumule et chauffe, inexorablement, avant d’embraser tout autour).
Ou comme l’explique le réalisateur : « L’histoire du film a été construite pour faire surgir la force et le caractère destructeur de l’actrice. Le contraste ou déséquilibre entre la silhouette frêle de l’actrice et cette violence qu’elle porte en elle, est le symbole qui est au cœur du motif cinématographique de Mother« .
Le visage de la mère
Le réalisateur explique dans une note d’intention qu’il a souhaité « faire un film qui creuse au plus profond de ce qui est brûlant et puissant, comme au cœur d’une boule de feu. Dans ce sens, Mother est un défi sur le plan cinématographique pour moi, car mes films précédents étaient tous des histoires qui tendaient à l’extension: si une affaire de meurtre me conduisait à parler des années 80 et de la Corée, et que l’apparition d’une monstre (The Host), me poussait à parler d’une famille, de la société coréenne et des Etats-Unis, Mother est, au contraire, un film où toutes les forces convergent vers le cœur des choses. Traiter de la figure de la mère, c’est du déjà-vu mais je vois ce film comme une nouvelle approche et j’espère qu’il sera également perçu ainsi par les spectateurs, comme quelque chose de familier mais d’étranger. »

Ainsi, malgré sa forme dramatique simple et une mise en images d’apparence plus austère, Mother s’inscrit comme une œuvre majeure. À plusieurs niveaux : dans son genre, dans la revisite de celui-ci, comme dans la filmographie du réalisateur. Pour ma part, il s’agit d’une délicieuse découverte et d’une belle audace cinématographique signée Bong Joon-ho.
Le cœur des choses.
À contre-pied du succès phénoménal de The Host, et du spectacle dont il faisait preuve, Mother se détache par sa sensibilité moins démonstrative, plus intériorisée et atmosphérique. Ainsi, après son introduction dansante, Bong Joon-ho nous plonge très naturellement dans la vie de sa figure centrale et solitaire. Une mère soucieuse, qui porte tellement son attention sur son fils « idiot » (Won Bin) qu’elle en oublie sa propre sécurité. Et son propre bien-être, naturellement.

Le réalisateur/scénariste (au côté de Park Eun-kyo) n’essaye pas pour autant de faire naître un sentiment d’injustice dans son histoire, puisqu’il présente bel et bien un profil de fils unique naïf et influençable. Par procuration, l’aveuglement de sa mère sur ce comportement autodestructeur rend son personnage crédule, mais renforce d’autant plus l’amour inconditionnel qu’elle lui porte.
Sa première partie est, de ce sens, très démonstrative dans le quotidien de ce duo, mais va rapidement à l’essentiel. Non sans petites longueurs curieusement. Mais surtout, avec une douceur et une ambiguïté certaine dans le comportement de cette mère avec son fils, d’où se dégage un léger sentiment d’inceste. Quoi qu’il en soit, l’actrice Kim Hye-Ja est incroyable à l’écran, de sa voix douce jusqu’à ses émotions contrites. Son impuissance et sa détresse sont largement perceptibles à l’écran, et évitent l’écueil du mélo pompeux.

Et c’est toute la subtilité et la force du film de Bong Joon-Ho. Représenté le combat d’une mère, avec intensité, radicalité, réalisme, et sans faire abstraction du monde absurde qui l’entoure. Dans ce sens, Mother grouille de second rôle en tous genres, qui remplissent à merveille son univers. De sa police détachée, désensibiliser, incapable jusqu’à un avocat qui l’est tout autant. Ses aspects prêtent naturellement à sourire, et révèlent le regard satirique bien connu du metteur en scène.
L’incendie. Aux brûlures extérieurs et intérieurs.
D’autre part, les équipes de repérage ont effectué un travail monstre pour que le village du film représente au mieux son réalisme (pittoresque). Auquel s’ajoute le ridicule du traitement de la situation. Malgré sa beauté extérieure, naturellement lumineuse, ses multiples personnages sont à l’image de ses petits villages : pittoresques et cloisonnés dans un quotidien peu reluisant.
Évidemment, le profil du fils, Do-joon, représente un extrême via son profil de coupable tout désigné. Sauf que Mother joue ensuite sur une douloureuse vérité à la logique accablante, alors que c’est un profil d’autant plus dérangé qui est accusé à sa place. Une affreuse ironie d’autant plus injuste.

Ainsi, tandis que la seconde heure du film nous détaille le combat solitaire d’une mère à la recherche du « véritable » coupable, ce drame au lourd accent de thriller dresse le portrait d’un monde d’autant plus pathétique et absurde. D’où se détache une grande part de tristesse, comme le démontre le passé peu à peu éclairer de la victime.
L’ultime témoin que va rencontrer « la mère » dans son enquête va ainsi nous précipiter vers un inéluctable dénouement sanglant. La détresse de notre héroïne flouée se transformant en une rage protectrice. Il s’agit du symbole ultime de l’intention cinématographique de Mother. Ce dénouement est à la fois tragique et comique dans sa force libératrice, tant notre héroïne est aveuglée par ses sentiments et sa désillusion de la situation.

Après son moment de folie embrasé, le film boucle habilement la boucle avec sa scène dans le champ de blé qui nous mène à celle de sa découpe d’herbe dans la boutique. Et dans son épilogue, Mother fait preuve d’une ironie noire de taille lorsque notre tête d’affiche se confronte à sa propre culpabilité. (via sa visite douloureuse du faux coupable, esseulé).
Conclusion
Sa dernière scène conclut habilement ce sentiment ravageur d’une douleur qu’elle tente d’enfouir. Allant jusqu’à effectuée sur elle-même l’acuponcture pour endormir cette douleur fulgurante qui revient naturellement via la naïveté de son fils. Une bien belle façon de brouiller la vision de ses peines contrites, qui ont émergé au nom d’un amour maternel inconditionnel avant de se transformer en vaste amertume.
Mother s’inscrit donc bel et bien comme une œuvre majeure dans la filmographie du metteur en scène. Celle-ci dispose pour le coup de quelques petites longueurs, mais qui n’ont pas terni mon visionnage pour autant. Mais aussi d’une mise en image assez naturelle et épurée, qui manque de brillance à défaut d’authenticité.
Dans tous les cas, Bong Joon-ho revisite assurément le mélodrame avec un sentiment familier, mais étranger, qui navigue entre l’ironie burlesque et la tragédie humaine sous sa forme la plus pure. Il ne s’agit pas de mon film préféré du réalisateur, mais peut être l’un des plus aboutis dans son traitement.
Les + :
- Le symbole ultime de la mère, habilement traité entre son amour inconditionnel pour son enfant et sa rage enfouie.
- Une prestation absolument époustouflante signée Kim Hye-Ja.
- La relation réaliste, peu attendrissante, et presque incestueuse de la mère avec son fils « idiot ».
- La bêtise authentique qui se dégage de l’affaire et de son traitement par la police et de la défense.
- L’authenticité de son village de campagne et de ses nombreux villageois dans un quotidien pittoresque.
- Sa rage et son ironie final, très juste.
Les – :
- Avec 2h10, et même si le film navigue habilement entre le contexte du mélodrame et le tempo du thriller, parfois, le film accuse de quelques longueurs.
- Malgré quelques atouts de mise en scène, sa mise en image naturelle ne marque pas la rétine.
- Malgré ses atouts narratifs, le film ne m’a pas profondément bouleversé. Comme souvent dans le cinéma pourtant virtuose de Bong Joon-ho
MA NOTE : 15.5/20

Les crédits
RÉALISATION : Bong Joon-ho / SCÉNARIO : Bong Joon-ho et Park Eun-kyo
AVEC : Kim Hye-ja, Won Bin, mais aussi : Jin Goo, Je Mun, Young-Suck Lee, Mun-hee Na, Chun Woo-hee, Yoon Je-moon (…)
SORTIE (France) : Mai 2009 à Cannes / 27 Janvier 2010 en salles / DURÉE : 2h10