OKJA

Dans le cadre d'une rétrospective sur la riche filmographie du réalisateur Bong Joon-ho, retour sur son 6e long-métrage : OKJA (2017). 

EN DEUX MOTS : 4 ans après le frénétique Snowpiercer, le réalisateur talentueux Bong Joon-ho délivre son nouveau film de genre. Celui-ci s’inscrit dès lors comme sa deuxième co-production américaine, et plus important encore, comme la première produite par Netflix. Et donc directement diffusé sur petit écran. Un apparat manque d’ambition qui peut tout d’abord laisser dubitatif, alors qu’il s’agit d’un projet à (tout de même) 50 millions de dollars. Et qui plus est, en compétition à Cannes.

Il s’agit avant tout d’un nouveau film de « monstre », après le remarqué The Host (2006), pour le réalisateur, dont l’idée d’un film est apparue après la vision d’une grosse créature inoffensive. De là est né Okja. Toutefois, en plus d’un goût prononcé pour l’aventure, son 6e film est une apparente satire de notre société capitaliste. Qui pointe du doigt autant les multinationales que leurs consommateurs assidus. (un constat un brin ironique compte tenu de la plateforme qui le diffuse…). Mais pas que…

Pendant dix années idylliques, la jeune Mija s’est occupée sans relâche d’Okja, un énorme animal au grand cœur, auquel elle a tenu compagnie au beau milieu des montagnes de Corée du Sud. Mais la situation évolue quand une multinationale familiale capture Okja et transporte l’animal jusqu’à New York où Lucy Mirando, la directrice narcissique et égocentrique de l’entreprise, a de grands projets pour le cher ami de la jeune fille.

Sans tactique particulière, mais fixée sur son objectif, Mija se lance dans une véritable mission de sauvetage. Son périple éreintant se complique lorsqu’elle croise la route de différents groupes de capitalistes, démonstrateurs et consommateurs déterminés à s’emparer du destin d’Okja, tandis que la jeune Mija tente de ramener son ami en Corée.

De plus, si Okja s’inscrit comme son second film en langue anglaise, le co-scénariste et réalisateur y déclare un apparent amour pour sa mère patrie (qu’il présente aujourd’hui comme terre de salut). Ou comme le démontre le choix de sa jeune héroïne d’origine coréenne, interprétée par la talentueuse Ahn Seo-hyeon.

Toujours est-il, malgré des atouts évidents (et d’un nouveau casting international percutant), les années ont effacé de ma mémoire cette aventure hors-norme. Qui a pourtant récolté de bons retours de la critique. Ce nouveau visionnage permet-il d’en considérer davantage les subtilités ? Ou cette aventure manque t’elle réellement de synergie dans son ensemble ? Eh bien, un peu des deux.

Ticket gagnant

2 heures étant la durée moyenne des films du réalisateur, OKJA n’y fait pas exception et dévoile une aventure à travers différents décors. Après une introduction fantasque, marketing et révélatrice, mettant en scène une Tilda Swinton affublée d’un appareil dentaire. Sa première demi-heure, volontairement étirée, nous permet d’apercevoir le lien et la complicité qui unissent le super porcelet (féminin) à sa jeune maîtresse. De petites aventures dans les montagnes coréennes qui ne manquent pas de poésie et nous amène sur l’inévitable séparation. Et la désillusion notoire.

L’actrice de 13 ans épate par son naturel et le soin accordé à la retranscription numérique d’Okja convainc largement. Fan de la jeune comédienne, le réalisateur lui offre ainsi une aventure à la hauteur de son talent ainsi qu’un temps d’écran quasi-intégral. Un temps qui lui permettra de donner la réplique à une large distribution aux apparitions plus ou moins éphémères.

D’un grand-père un peu radin et dépassé (Byun Hee-Bong, pour sa 3e collaboration avec le réalisateur) à l’animateur vedette fantasque (Jake Gyllenhaal, ringard moustachu et à la voix niaise) jusqu’au groupuscule pour la libération des animaux. Ici, on peut noter la présence tout en intensité d’un Paul Dano toujours formidable et pondéré (et plus secondairement celles de Steven Yeun et Lily Collins), tandis que le réalisateur met en évidence l’intéressement d’un nouveau groupe aux intentions pourtant farouchement opposées à la multinationale Mirando.

Néanmoins, parmi la distribution, c’est double la présence de Tilda Swinton qui est une évidence dans cette démonstration de profils excentrique. Et pour preuve, durant l’écriture, le metteur en scène n’avait qu’un visage en tête pour représenter ce profil d’antagoniste. Une seconde collaboration qui révèle quelques surprises dans son exploitation à l’écran et qui survient après son second rôle culte dans Snowpiercer.

Et pièces de choix, à la découpe.

N’étant pas toujours accompagné à l’écriture, Bong Joon-ho travail cette fois au côté du méconnu complotiste Jon Ronson. Qui officie également comme dialoguiste. Pour un résultat et un montage en demi-teinte, même si sa construction demeure structurée. (En deux parties composées elle mêmes de deux parties).

Ainsi, après une heure au côté de notre jeune héroïne, illustrée finalement comme plutôt naïve, le film se concentre davantage sur ses guests stars. Dont Miranda/Lucy (pour le meilleur), dans un double portrait de PDG tantôt infantile puis business woman sans scrupules. (Au côté d’un Giancarlo Esposito, fidèle à lui-même). Ou plus brièvement l’egocentrique Johnny Wilcox (pour le pire), Gyllenhaal à contre emploi, mais dans un surjeu grotesque et irritant.

Paul Dano, quant à lui, tire largement son épingle du jeu en leader nuancé, faussement calme. Dommage, donc, que l’intrigue ne développe pas davantage la structure de ce groupe vieux de 40 ans (à l’instar d’autres facettes de son intrigue).

Toujours est-il que l’action quitte la Corée pour les États-Unis. Dans une aventure beaucoup moins haletante (la course-poursuite à Séoul restera largement inégalée), la ou sa critique sociale s’avérera bien plus percutante. Toutefois, sa fin paraît d’autant plus précipitée, malgré la vision toute-puissante du capitalisme. D’où ce sentiment oubliable contrairement à certaines scènes plus éloquentes. On peut notamment regretter des destins expédiés pour l’ensemble de ses personnages, tandis que sa fin adoucie l’ensemble dans sa forme de normalité amère.

Conclusion

Quoi qu’il en soit, tout ne fonctionne pas dans le film. C’est une certitude. En revanche, concernant l’humanisation de cette adorable truie et des sévices subies, OKJA n’y va pas par quatre chemins. Le film vire peu à peu dans un cynisme à la limite du malaise. (à l’instar d’un viol animalier). Et sa représentation des abattoirs et laboratoires animaliers sont d’une tristesse inouïe. Et une métaphore assumée des camps de concentration ou l’humanité n’y a pas sa place.

À mes yeux, OKJA s’inscrit dans une continuité logique vis-à-vis de la filmographie du réalisateur. En revanche, il s’agit d’une de ses œuvres les plus inégales et dispersées. Malgré son montage méthodique. Si ses caractéristiques satiriques demeurent infiniment riches, et que le long-métrage en exploite les aspects les plus sombres, l’aventure semble fatalement raccourcie et étriquée. Malgré son apparente largeur.

C’est donc une nouvelle production Netflix encore en demi-teinte (mais bien au dessus du lot, heureusement), qui brille tout de même de quelques beaux atouts. Mais pas les plus percutants de son metteur en scène.


Les + :

  • Une nouvelle satire acide (aujourd’hui envers les multinationales, principalement) qui n’y va pas par quatre chemins avec son postulat de Science-fiction original.
  • Le lien affectif qui unit la sympathique créature et sa jeune maîtresse coréenne.
  • Une distribution assez variée dans ses profils et composée de quelques guests de choix. Tilda Swinton et Paul Dano largement en tête.
  • Un montage structuré qui favorise les changements de décors (les montagnes coréennes, Séoul, New York, les abattoirs…).
  • Une course-poursuite dans Séoul aussi fantasque (typique du cinéma coréen) que bien mise en scène.
  • Sa vision sans concessions des laboratoires expérimentaux puis ses abattoirs (ou camp de concentration) qui transforment cette douce aventure en cauchemar cynique. Comme son calme final où flotte les stigmates et traumatismes de son aventure.

Les – :

  • Malgré sa durée tout de même généreuse de deux heures, certains aspects de son intrigue manquent d’approfondissements. À l’image du fonctionnement des groupes qui composent l’aventure.
  • Un ensemble de personnages atypiques, mais aux destins expédiés.
  • La performance de Jake Gyllenhaal, qui frôle le ridicule exubérant. (Et pourtant je suis friant de son jeu d’acteur).
  • En bifurquant sur la partie sombre de son récit, le film perd la fougue de son aventure. La ou elle aurait pu gagner en intensité.
  • À l’instar du destin de ses protagonistes ou plusieurs aspects de son univers, sa fin semble précipitée. Malgré son amertume efficiente.

MA NOTE : 14.5/20

Les crédits

RÉALISATION : Bong Joon-ho / SCÉNARIO : Bong Joon-ho & Jon Ronson

AVEC : Ahn Seo-hyeon & Tilda Swinton…, Byun Hee-Bong, Paul Dano, Steven Yeun, Lily Collins, Yun Je-mun, Shirley Henderson,

Mais aussi : Daniel Henshall, Devon Bostick, Choix Woo-sik, avec Giancarlo Esposito, et Jake Gyllenhaal (…)

SORTIE : 28 Juin 2017 / DURÉE : 2h

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