EN DEUX MOTS : En 10 films sur 22 ans, David Fincher s’est forgé une très solide carrière. Une carrière composé de classiques qui ont dévoilés toute la méthode et le minimalisme d’un metteur en scène prodige. Capricieux, acharné, le réalisateur s’est souvent fâché avec les plus grands studios. Ainsi, depuis 2014, celui-ci a mis en pause sa carrière au cinéma pour réaliser à la télévision. Sous la houlette Netflix. Pour un résultat toujours prodigieux quoi qu’il en soit. 6 ans plus tard, il fait son grand retour avec une œuvre personnel. Sur la même plateforme…
Dans ce film qui jette un point de vue caustique sur le Hollywood des années 30, le scénariste Herman J. Mankiewicz, alcoolique invétéré au regard acerbe, tente de boucler à temps le script de Citizen Kane d’Orson Welles.
Allociné
Si MANK n’est pas la première incursion pour le réalisateur dans le genre du biopic, son projet demeure atypique. Il y a plus de vingt ans, David Fincher devait déjà réaliser ce projet. Un projet écrit par son propre père, Jack Fincher, décédé en 2003. Sa volonté de réalisation en noir et blanc ont fait fuir les studios et c’est seulement des années plus tard qu’il concrétise ce film hommage. Notamment grâce à la carte blanche que lui confère le géant du streaming.
Tant mieux, car avec son budget confortable (compris entre 20 et 30 millions de dollars) et sa mainmise sur le projet, le réalisateur dévoile un biopic contrasté. Néanmoins, au-delà de ce vibrant hommage aux fondamentaux du cinéma, MANK parvient-il à nous embarquer avec fluidité dans cette fable historique ? Hélas non, pas pour la majorité des mortels. Bien plus pour les critiques. On pourra dire ce qu’on veut du film, ici, David Fincher réalise davantage une œuvre pour lui-même que pour le spectateur. Tout simplement.
PLONGÉE INCONDITIONNELLE ET DYSFONCTIONNELLE DANS LE HOLLYWOOD DES ANNÉES 30
Le plus beau contraste du film réside dans le caprice de son metteur en scène. Il s’agit également de l’une de ses plus belles réussites : sa retranscription historique. Son contraste, c’est celui de sa qualité de production, pour un film tourné en 8K. En post-production, pourtant, le réalisateur s’amuse à retravailler l’image, a la vieillir, lui donner du grain pour un effet pellicule d’époque. Autour de ses décors de Californie naturel, grandiose, et intemporel, le résultat est bluffant.
Au centre du récit, il y a le portrait typique de l’artisan secondaire d’un chef d’œuvre fondamental du cinéma. Celui du scénariste, incompris et borderline, auquel le cinéaste rend hommage sous la plume d’un père disparu. Pour l’incarner, Gary Oldman dévoile une prestation qui n’étonnera personne puisqu’elle s’avère sans failles. Et quasi sans filtres. L’acteur use de tout son talent et de son flegme naturel dans la peau d’Herman Mankiewicz.
Pour réaliser son film et le voyage entre les pages de son scénariste, David Fincher conserve ses habitudes, mais opère quelques changements. S’il conserve son chef monteur, sa chef costumière, ou encore son chef décorateur, le réalisateur fait aujourd’hui appel à Erik Messerschmidt qui avait déjà œuvré sur la formidable série MINDHUNTER. Réalisée en partie par Fincher. C’est techniquement impeccable. Surtout quand le film capte à merveille la nuance perpétuelle du noir et blanc.
Pour rythmé cette odyssée verbale autour de l’esprit dysfonctionnel de Mank, le réalisateur collabore également (pour la quatrième fois, consécutive) avec les compositeurs Trent Reznor et Atticus Ross. Or, les deux hommes sortent de leurs zones de confort et délivrent une bande originale d’époque propice à l’ambiance historique. Une B.O où leurs travaux précédents demeure parfois à peine perceptible et qui s’avère efficace dans les partitions plus dramatiques du film.
ARTISAN DU CHAOS. ARTISAN DE LA LIBERTÉ DE CRÉATION. ARTISAN D’UN AUTRE TEMPS. À QUEL PRIX ?
Sans être linéaire et en installant docilement son ambiance, MANK se berce donc sous le regard du scénariste. Et son douloureux processus de création. Dans sa structure, le film semble être monté sur des points de vue aussi large que précis. L’intrigue débute ainsi en 1940 puis nous amène sur les rencontres et les choix de l’auteur qui ont rythmé la décennie chaotique des années 30. Biopic oblige, MANK y présente des figures plus ou moins connus de l’époque, dont certaines s’avèrent excentriques à souhait.
On y découvre évidemment une Amanda Seyfried assez réjouissante en Marion Davies. Synonyme de grâce et de malice pour une actrice perdue. À noter que l’actrice aux grands regards a été contrainte à un dure labeur avec le réalisateur, toujours très perfectionniste, puisqu’ils ont filmé une prise à peu près 200 fois pour le résultat escompté. En plus de ses nouvelles collaborations, assez nombreuses ici, David Fincher retrouve Charles Dance pour la deuxième fois. Presque 30 ans après ALIEN³, son premier film. L’impérial acteur au ton grave incarne quant à lui magistralement le réalisateur William R. Hearst, figure imposante de l’époque.
Additionnellement, Tom Burke interprète le célèbre, jeune, et impétueux Orson Welles, pour une présence assez restreinte à l’écran. Le film débute par ailleurs par un prélude nous expliquant le contrôle total du réalisateur, à l’époque, sur ce projet. Ce qui a abouti à une renommée que beaucoup qualifient de « meilleur film de tout les temps ».
En 1940, à l’âge de 24 ans, Orson Welles est attiré à Hollywood par la RKO en difficulté grâce à un contrat digne de ses grands talents de conteur. Il obtient une autonomie créative totale, ne souffre aucune supervision et peut faire le film de son choix sur le sujet de son choix, avec les collaborateurs de son choix…
Prélude du film
Difficile avec cela de ne pas y voir un parallèle avec la carrière de Fincher. La réalisation de MANK, libre dans son contenu, et un côté très critique du metteur en scène vis-à-vis des grands studios. Toutefois, et bien malheureusement (pour moi, notamment, chérissant le travail du réalisateur) le film se perd dans les méandres de la création.
CONCLUSION
En s’appuyant sur les écrits d’un père disparu, le film semble se perdre dans sa justesse sur le nombre de références que citent les dialogues. Et malgré des personnages incarnés et une direction éblouissante, le film se soustrait par la même occasion d’une émotion profonde. Restera le renouvellement partiel du perfectionnisme visuel de David Fincher dans une mise en scène très inspiré. Et bien évidemment l’incursion estomaquant dans une époque révolue depuis longtemps.
Pour conclure l’année 2020, le metteur en scène ne dévoile pas un cadeau de Noël idéal. Cela a au moins le mérite de glorifier le contenu de Netflix, en manque de qualité original. Un investissement qui a fait son effet puisque le film a été nommé 8 fois aux Oscars. S’il a fait l’impasse sur celui de meilleur film ou meilleur acteur pour Gary Oldman, il a remporté celui de la meilleure photographie et des meilleurs décors.
Il s’agit avant tout du film le moins accessible de son réalisateur. Et d’un retour un peu amer, pour ma part. Une belle œuvre de cinéma, peut être trop suffisante pour pleinement satisfaire.
Les + :
- La liberté de création pour un projet personnel et personnalisé qui fait écho à la carrière de David Fincher.
- L’incroyable retranscription historique dans le Hollywood des années 30. De ses décors vintages, sa photographie somptueuse qui magnifie le noir et blanc, jusqu’à son mixage son feutré.
- Les différents contrastes du film. Notamment avec une réalisation moderne tournée en 8K, mais retravaillée en aval pour lui donner son grain d’époque bluffant.
- Une très belle et large distribution qui représente à merveille les artisans du cinéma. Gary Oldman en tête, logiquement puisqu’il est au centre de chaque scène, mais également pour d’autres protagonistes secondaires marquants. Allant d’Amanda Seyfried à Charles Dance.
Les – :
- Dans son processus de création qui s’appuie sur un scénario vieux de 20 ans, et le regard de Jack Fincher, son père disparu, David Fincher délivre un film personnel. Mais trop peu abordable sur la longueur.
- Si le réalisateur nous avait habitué à des montage millimétré et perfectionné, MANK se perd dans les méandres de la fable historique, qui alterne entre les scènes flashback et la trame principale du récit. De façon parfois inconsistante.
- Un biopic et une plongée réaliste dans une histoire presque vieille d’un siècle, mais qui multiplie tellement les références qu’elle perd en tact. Plus historique qu’humaine et par extension dramatique, elle se soustrait d’émotions.
- Fatalement, en accumulant le tout, et malgré un ensemble de deux bonnes heures bien tassé, le film perd en rythme. Quitte à nous ennuyer autant qu’à nous perdre.
MA NOTE : 14/20
Les crédits
REALISATION : David Fincher / SCENARIO : Jack Fincher
AVEC : Gary Oldman, mais aussi : Lily Collins, Amanda Seyfried, Arliss Howard, Tom Pelphrey, Sam Troughton, Ferdinand Kingsley, Tuppence Middleton,
Tom Burke, Joseph Cross, Jamie McShane, Toby Leonard Moore, Monika Gossmann, Adam Shapiro, et Charles Dance (…)
SORTIE : 04 décembre 2020 / Durée : 2h12 / GENRE : Drame, Biopic, Historique
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