THE STRANGERS

Dans le cadre d'une rétrospective sur la nouvelle vague du cinéma coréen, retour sur 3 films de 3 réalisateurs qui ont marqué mes premières années de cinéphiles. Et aficionados du genre.
Et parmi ses 3 metteurs en scène Na Hong-jin s'inscrit assurément comme l'outsider de cette section.
Ainsi, après deux thrillers endiablés et survenus coup sur coup (2008 et 2010), son troisième et dernier film (à l'heure actuelle) à davantage tarder pour venir.
The Strangers, datant de 2016, et aussi imparfait soit-il, demeure une expérience indélébile et somptueuse. Dans sa noirceur abyssale.

EN DEUX MOTS : En France, 5 ans sépare The Murderer de THE STRANGERS, le nouveau long du réalisateur Na Hong-jin. Une attente néanmoins récompensée par un nouveau projet fleuve (notamment quand il explore les genres de l’horreur surnaturelle et de la fable policière) comme le prouve sa durée colossalle de 2h36. Néanmoins, pour son troisième film, et même s’il navigue entre les genres (qu’ils revisitent toujours), le réalisateur maintient sa forme de thriller sombre et violent. Son intrigue et son ambiance contribuant à cet aspect viscéral.

La vie d’un village de montagne est bouleversée par une série de meurtres, aussi sauvages qu’inexpliqués. L’enquête de police piétine alors qu’une épidémie de fièvre se propage et mène à la folie meurtrière les habitants de la petite communauté. Sans explication rationnelle à ce phénomène, les soupçons se portent sur un vieil étranger qui vit en ermite dans les bois attisant rumeurs et superstitions.

De son titre américain « The Wailing« , les gémissements, ce nouveau projet, et co-production américaine (à 8 millions USD), bascule doucement vers l’horreur. Un troisième film « interdit – 12 ans avec avertissement« , avec lequel Na Hong-jin a effectué un travail colossal en amont. Dont 2 ans et demi d’écriture pour son scénario. Ce qui explique, à la fois son tournage encore une fois conséquent (6 bons mois) et la largeur de ses thèmes et ses genres abordés.

Drame familial, Thriller sanglant, épouvante sur fond religion ou fable policière pluvieuse et poisseuse, The Strangers transpire de tous ses pores de nombreuses caractéristiques bien imagés. Et parfois même indélébile. Esthétiquement, le réalisateur et ses techniciens (directeur de la photographie comme chef opérateur) sont son surpassé pour livrer un véritable tour de force visuel. (Un spectacle qui concorde le soin apporté à Mademoiselle, de son comparse Park Chan-wook, sorti la même année).

Dans un esprit similaire, Na Hong-jin réinvente sa mise en scène dans un exercice beaucoup plus souple et sans sursauts. Une mise en image peaufinée qui contribue à la lente descente aux enfers que nous fait vivre son nouveau film :

« Goksung »

Il s’agit ici de son titre original. Qui tire son nom du village de montagne dans lequel le film a été tourné et qui sera le théâtre de ses terribles événements. Avant de nous imprégner pleinement de ses montagnes brumeuses et pluvieuses, le réalisateur et son équipe nous en montrent la beauté divine. Sa plus grosse partie, aussi gorgée d’horreur soit-elle, nous en montre les étendues lumineuses. Quitte à montrer le mal en plein jour. Et pour nous accompagner dans ce lent cauchemar, c’est via sa police locale que la caméra place son regard. En premier lieu.

Via ses portraits de flics peureux et peu dégourdi, The Strangers jubile de conjugué un effet comique à l’épouvante à l’état pure. Ainsi, Jong-goo (Kwak Do-won), son policier rondouillard, se pose comme la victime idéal assistant, impuissant, à cette succession d’événements sanglants. La position d’étranger du Japonais (Kunimura Jun) dans ses contrés Coréennes est, quant à elle, aussi pondérée qu’inquiétante.

Au-delà de la présence intense du célèbre acteur japonais, le film s’appuie sur la déférence envers les étrangers. Et du lourd héritage de la colonisation japonaise sur la Corée. (un autre point commun avec Mademoiselle). Un portrait d’autant plus percutant par la suite puisqu’on vient d’avoir pitié de lui, grâce à un regard d’homme incompris et chassé (à raison, ironiquement) par ses pairs. De simples villageois. Et pourtant, le réalisateur se plaît à nous malmener jusqu’à ses révélations finals.

Sous des influences assumées de classiques tels que L’Exorciste et Rosemary’s Baby, Na Hong-jin entend livrer un cauchemar à l’ambiance lourde et sous couvert de réalisme. C’est via son choc des religions qu’il le fait, comme l’indique son psaume en introduction qui suggère que Jésus n’est pas un fantôme puisqu’il est matériel.

Saisis de crainte et même de terreur, ils croyaient voir un fantôme. Mais Jésus leur dit : « Pourquoi êtes-vous troublés ? Pourquoi ces doutes dans vos cœurs ? Voyez mes mains et mes pieds, c’est bien moi. Touchez et voyez, un fantôme n’a ni chair ni os, contrairement à moi, comme vous pouvez le constater. »

L’Évangile selon Luc 24 : 37-39

Les gémissements au cœur de la montagne.

Cette figure d’opposition au Christianisme, c’est le Chamanisme, qui est le cœur de la folie meurtrière dans le film. Ou, plus largement, le combat du bien contre le mal. Une folie meurtrière qui va même jusqu’à atteindre la famille de Jong-goo, avec sa fille (Kim Hwan-hee) sous influence démoniaque, pour un résultat aussi intense que bestial et qui rappelle fatalement le chef d’œuvre de William Friedkin. Ici, le portrait familial va se révéler central dans ses nombreux tourments et dans sa finalité barbare aux âmes volés.

Il faut néanmoins attendre la moitié du film pour un début d’explications plus concrètes. Mais aussi voir apparaître ses nouveaux et deux autres protagonistes clés : son jeune chaman moderne (Hwang Jeong-min), et plus (trop ?) tard encore, la mystérieuse femme (Cheon Woo-hee), aux apparences furtives jusqu’eux là. Vient avec eux son portrait des rites chamaniques, avec tout le folklore (assumé) et la grandiloquence qui l’accompagne. Ainsi que son clash des religions.

Au coeur des religions

La religion est au coeur de The Strangers, du christianisme au chamanisme. Na Hong-jin a effectué un travail de documentation fastidieux en ce sens : 

« On connaît les conditions réelles qui amènent les gens à mourir. Mais moi, je continuais à me demander ce qu’il y avait au-delà de ça. Et c’est ça que je n’arrivais pas à saisir tout à fait, ou plutôt à justifier. Je me suis donc mis à enquêter auprès de religieux de toutes les religions en Corée. Je leur ai posé des questions sur la mort et sur ses victimes. Et ça m’a pris un temps fou de bien comprendre ce qu’ils me racontaient. (…)

En réalité, quand j’écrivais ce film, je pensais beaucoup plus à la Bible, et en particulier au Nouveau Testament. Après, j’y ai ajouté des éléments un peu plus complexes pour enrichir l’histoire. », relate le cinéaste.

Source : AlloCiné

Le film bascule alors peu à peu vers la folie à l’état pure. Quitte a flirté avec les limites du ridicule, comme le démontre la scène des villageois en colère qui se mettent à pourchasser le Japonais puis à tabasser le possédé mort-vivant. Une grande scène sauvage et burlesque qui prête forcément plus à sourire qu’à se réfugier sous la couette.

Avec l’ensemble de ce folklore pittoresque, The Strangers finira de diviser son public. Un effet ressenti pour tout à chacun, comme, par exemple, avec sa scène de rituel interminable de 15 minutes. Toutefois, sa dernière partie se montre nettement plus viscéral et exclut la farce contre le cauchemar à l’état pur. Ici, le travail d’exécution technique est bluffant de beauté. Avec notamment un travail de longue haleine pour capter la lumière naturelle adéquate à chaque scène. Dans ses teintes bleutées, troublantes et magnifiques.

Conclusion

The Strangers transpire ainsi de maîtrise jusqu’à sa supercherie biblique qui nous révèle les vrais rôles de chacun. Pour un résultat amer et définitif basé sur une idée simple : le doute. Ainsi, ce combat final est représenté par le doute qui habite ce père malmené, et qui perdra tout. Jusqu’à son âme. Sa représentation final du Diable, est, quant à elle, absolument effroyable et reflète le travail peaufiné de ses techniciens. Assurément l’un des grand point fort du film.

Et pour ceux qui seraient dans la panade de compréhension (comme moi, aux premiers abords) je vous invite à lire ses explications sur la fin, publiées sur Sens Critique : ICI

Quoiqu’il en soit, pour la troisième fois, et même si son film a été présenté hors compétition au Festival de Cannes, le dernier film en date de Na Hong-jin a été unanimement salué par la critique lors de sa projection. Preuve que, malgré sa sauvagerie et sa radicalité, son cinéma impose un certain respect dans son exécution. Peut-être pas un chef d’œuvre, mais une œuvre d’envergure issue de la nouvelle du cinéma coréen qui ne laisse pas indifférent.


Les + :

  • Une odyssée noire et colossale qui navigue entre les genres.
  • Son contexte social d’une bande de villageois confrontés à des horreurs de plus en plus surnaturels.
  • Avec, en tête, ce policier et sa famille qui bascule peu à peu dans un cauchemar bien réel.
  • Sa mise en images, de sa photographie jusqu’à sa mise en scène, absolument somptueuse et qui rend hommage à ses immenses décors naturels.
  • Son ambiance sinueuse qui jouit de grands moments d’épouvante en plein jour, comme sous la pluie battante.
  • Son clash des religions, entre sa Foi contrite envers le christianisme contre l’espièglerie du chamanisme.
  • Nos convictions de spectateur peu à peu ébranlé. De la pitié ressentit envers ce Japonais persécuté jusqu’à ses révélations finals perturbantes.
  • Une fin terrible, cohérente et parfaitement imagée.

Les – :

  • Quelques longueurs inéluctables, même s’ils participent à l’ambiance particulière du film.
  • Quelques profils richissime, mais trop tardif et trop peu exploité.
  • Un folklore et un ridicule qui flirte régulièrement avec ses limites d’exécution.

MA NOTE : 16/20

Les crédits

RÉALISATEUR & SCÉNARIO : Na Hong-jin

AVEC : Kwak Do-won, Hwang Jeong-min, Kunimura Jun, Kim Hwan-hee, Cheon Woo-hee, mais aussi : Her Jin, Jang So-yeon, Son Gang-guk, Kim Do-yoo (…)

SORTIE (France) : (6) Juillet 201(6) / DURÉE : 2h3(6) : « 666« , soit ironiquement les chiffres associés à l’Antéchrist…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *