
Afin d'explorer un peu plus la continuité de la nouvelle vague du cinéma coréen, focus sur un film de Kim Jee-woon encore inédit pour ma part jusqu'à aujourd'hui.
Si The Age of Shadows semble d'abord dénoter du reste de la filmographie du réalisateur, sa découverte s'annonce stimulante par sa distribution et son contexte d'époque.
EN DEUX MOTS : Inédit en France jusqu’à sa sortie en VOD, moins de deux ans après sa diffusion à domicile (à savoir en septembre 2016), THE AGE OF SHADOWS marque le retour du réalisateur Kim Jee-woon dans sa langue natale. Et ce, après son expérience hollywoodienne décevante. Ainsi, après un film de commande oubliable mais amusant – Le Dernier Rempart – le metteur en scène talentueux peaufine ainsi son image dans un genre qu’il explore pour la première fois : le film d’espionnage en temps de guerre.
Les années 1920, pendant la période d’occupation de la Corée par le Japon. Lee Jung-chool, un capitaine de police coréen travaillant pour la police japonaise, doit démanteler un réseau de la résistance coréenne dont il réussit à approcher l’un des leaders, Kim Woo-jin.
Les deux hommes que tout oppose – mais qui connaissent chacun la véritable identité de l’autre – vont être amenés à se rapprocher, tout en continuant à dissimuler l’un à l’autre leurs propres desseins.
Outre ses attraits policier et historique classique, The Age of Shadows dispose toutefois d’une ambition certaine. Par son contexte historique et politique, sa photographie naturelle et élégante, jusqu’à son jeu du chat et de la souris en temps de guerre, le film de Kim Jee-woon conjugue nouveautés et familiarités pour ce projet conséquent. Et pour un montage total de 2h20 malgré son budget modéré de 8.62 millions USD.
En tête d’affiche, il s’entoure du célèbre acteur Song Kang-ho (pour leur troisième collaboration) et du plus jeune Gong Yoo pour un face-à-face de choix. (Le second sortant tout juste de l’énorme succès international de Dernier Train pour Busan).

Avec ce postulat plutôt exaltant et une distribution secondaire assez fournie (dont Lee Byung-hun, un autre acteur fétiche du réalisateur), on pouvait être enthousiaste quant à l’exécution de cette fable d’époque. À l’arrivée, le metteur en scène réalise un nouvel exercice de style avec de nombreuses failles dans son déroulement, tandis que sa mise en scène demeure encore envoûtante.
Son introduction en donne d’ailleurs le ton via une démonstration virtuose qui mélange plusieurs ingrédients du film. À savoir, faux-semblants, tensions, trahisons et échanges de tirs en cascade. Un grand moment d’action comme le film en fera peu, bien qu’il s’appuiera sur d’autres dynamiques et variantes par la suite.
Des rouges chez des jaunes.
Pour sa deuxième (co)production hollywoodienne (cette fois avec Warner), Kim Jee-woon use des outils à sa disposition activement. Avec un sens du spectacle indéniable, il entend faire naviguer ses genres avec le style qu’on lui connaît. Une certaine frénésie dans son action, un sens du suspense au tempo de western, une violence graphique frontale, ou une gravité certaine entre ses personnages hostiles.
D’ailleurs, si le cinéma de Kim Jee-woon ne nous a jamais habitués à un grand esprit burlesque, The Age of Shadows s’y aventure à peine. Pour autant, il ne dispose pas d’un sérieux papal académique et tente de laisser la place à l’émotion, comme souvent chez le cinéaste. En son centre, ses deux figures que tout oppose son caractérisé dans ce sens, afin de livrer la part tragique de leurs destins. Et ce, via leurs parcours difficiles, guidés par le sens du devoir. Qu’il s’agisse du drapeau ou de sa fonction politique (au sein de la résistance comme de la police japonaise).

Naturellement, c’est la coqueluche fétiche des Coréens Song Kang-ho qui tire son épingle du jeu, via son rôle de « traître » aux yeux des siens. Ou de cafards malgré son dévouement pour la hiérarchie japonaise. Pour lui donner la réplique le plus jeune Gang Yoo s’avère suffisamment mûr pour convaincre dans sa position de numéro 2 de cette petite organisation.
Et si un équilibre de semi-confiance s’installe progressivement entre les deux têtes d’affiche, celui-ci va rapidement être perturbé par le jeune chien fou ambitieux interprété par Uhm Tae-goo. Une facette d’officier japonais un brin caricatural et excessif, mais qui fonctionne tout de même. Et justement, dans ce sens, la colonisation japonaise en Corée demeure assurément l’un des événements historiques majeurs de cette péninsule asiatique. D’autant qu’elle dura 35 ans, à savoir de 1910 jusqu’à 1945.

Un beau mélange de couleurs pour une drôle de dynamique.
Ainsi, en plaçant son action en plein milieu de cette occupation, le film de Kim Jee-woon en dresse indirectement un portrait quelque peu rodé, mais aux blessures toujours très vives. Ce qui explique aussi un dévouement (quasiment) inébranlable, malgré un taux de réussite quasi nulle, pour la résistance. Dans tous les cas, son contexte historique en fait un climax idéal dans les genres qu’ils abordent et notamment d’espionnage avec les faux-semblants qui l’accompagne.
En plus de son tempo globalement énergique, The Age of Shadows tente d’élargir son intrigue hors des frontières coréennes. Comme le démontre son long moment d’espionnage à Shanghai. Le film échoue un peu plus à conjuguer les faits réalistes et le sens du spectacle du metteur en scène, et pour cela sa dernière partie manque de vivacité malgré sa violence. Ces événements moins réussis précèdent néanmoins un dénouement explosif et une finalité assez plaisante.

Ce faisant, Kim Jee-woon écrit et met en scène un récit tragique qui s’appuie principalement sur le suspense. Sa deuxième moitié conjugue d’ailleurs parfaitement cela avant sa dernière ligne droite en question. Qu’ils s’agissent de sa longue scène de pistage et d’espionnage dans le train jusqu’aux contrôles d’identité dans la gare.
Et si, pour une fois, la mise en scène du réalisateur manque globalement de virtuosité (hormis ses grandes scènes d’action donc), elle dispose d’une lisibilité exemplaire. Une caractéristique d’autant plus appuyée par sa photographie irréprochable.

Conclusion
The Age of Shadows a donc pour résultat d’être un film d’espionnage et d’action efficace et léché. Et ce, malgré un format étiré et une intrigue qui ne frappe pas aussi fort que son ambition. Le constat final demeure appréciable et on peut se reposer sur ses belles qualités pour gommer quelque peu ses imperfections.
De plus, cela reste un plaisir de redécouvrir les deux acteurs fétiches de Kim Jee-woon devant sa caméra. Et même quand le génial Lee Byung-hun, dans son rôle de chef de la résistance, dispose de si peu de scène. Cela reste un plaisir de le voir donner la réplique à Song Kang-ho, presque 10 ans après Le Bon La Brute et le Cinglé.
Ainsi, avec son film d’espionnage le réalisateur coréen ne réussit que partiellement son incursion dans ce nouveau genre qu’il aborde. Si le metteur en scène peaufine son travail esthétique, il perd en force émotionnelle. Demeure un très bel exercice de genre et un film largement louable dans sa filmographie.
Les + :
- Un nouveau genre abordé pour le réalisateur, qui recèle de charme et dans lequel il use d’un certain potentiel.
- Une introduction endiablée qui conjugue les meilleurs atouts du film.
- Son contexte historique idéal pour le genre de l’espionnage et pour la ligne d’ambiguïté morale des personnages.
- Une photographie léchée et une mise en scène soignée.
- Un beau casting. Song Kang-ho largement en tête dans son rôle tiraillé entre devoirs et patrie.
- Quelques grandes scènes savamment exécutées.
- Une conclusion globalement satisfaisante.
Les – :
- Un mélange entre ses faits historiques et un sens du spectacle qui ne fonctionne pas toujours.
- Avec son montage imposant de 2h20, cette fable d’espionnage tire parfois en longueur point notamment sur ses différents enjeux dramatiques.
- La présence restreinte de la superstar Lee Byung-hun dans la peau du chef de la résistance. Un beau potentiel manqué.
- Une troisième partie moins intense, malgré sa violence et son amertume.
MA NOTE : 14.5/20

Les crédits
RÉALISATION & SCÉNARIO : Kim Jee-woon
AVEC : Song Kang-ho…, & Gong Yoo…, Han Ji-min, Uhm Tae-goo, Shin Sung-rok, Heo Sung-tae, avec Tsurumi Shingo, et Lee Byung-hun (…)
SORTIE (France, en VOD) : 2 Janvier 2018 / DURÉE : 2h20