PLURIBUS – saison 1

C’est probablement l’ovni télévisuelle de l’année. Mais aussi l’une des rares séries à se terminer juste avant 2026, comme si cela avait de l’importance. Pluribus (ou PLUR1BUS dans sa version stylisée) est forcément un événement en soi puisqu’il s’agit de la nouvelle création de l’atypique Vince Gilligan — à qui l’on doit, pour rappel, les séries acclamées Breaking Bad et Better Call Saul. Son nouveau projet était fatalement scruté.

D’autant plus que si le cinéaste quitte le genre du thriller dramatique, il conserve comme toile de fond, en grande partie, les paysages du Nouveau-Mexique. C’est encore une fois avec réalisme, non sans un humour noir caractéristique, mais cette fois sous un genre inattendu — la science-fiction — que le créateur dévoile une nouvelle trame dramatique.
Mais outre son décor gigantesque, d’autres toiles de fond englobent son intrigue, à savoir le thriller psychologique et la science-fiction post-apocalyptique.

synopsis…

La personne la plus malheureuse au monde est la seule capable de sauver l’humanité… du bonheur.

Les mystères sont donc légion concernant Pluribus. Et avec elle, Apple TV dévoile sa production la plus ambitieuse de l’année. La plateforme s’offre les services du talentueux et méticuleux créateur, qui lui-même confie le premier rôle à la révélation de sa précédente série : Rhea Seehorn. Couplée à une vision atypique, cette première saison de neuf épisodes offre donc beaucoup de matière à analyser.

Hélas, à partir de là, difficile d’en dire davantage sans trop spoiler le point de départ, lui aussi atypique. Avant de m’étendre légèrement en territoire sensible, il convient néanmoins de souligner que la série mérite amplement son statut d’OVNI, ne serait-ce que pour son pilote d’une qualité gargantuesque.

Certes, la suite de la saison ne tient pas toutes ses promesses sur la longueur, mais force est de constater que son créateur maîtrise encore ses outils comme peu d’autres — aussi laconiques mais lancinants soient-ils.

la suite de ma critique contient des spoilers

HAPP1NESS

En proposant près de deux heures de contenu dès sa sortie, début novembre, Pluribus démontre d’emblée tous ses atouts… mais aussi ses limites, en seulement deux épisodes. Un curieux sentiment contradictoire émerge alors, sentiment qui ne fera que se confirmer au fil des semaines.

Fort d’une narration et d’une mise en image maîtrisées dans leurs moindres détails,Vince Gilligan déploie quoi qu’il en soit une atmosphère qui épouse à merveille les genres qu’il aborde.

Sa science-fiction, par exemple, s’insinue avec réalisme autour de son point de vue principal. D’autant que, passée son introduction, la série ne dévie quasiment jamais du personnage incarné par une Rhea Seehorn choisie sur mesure. L’actrice, sans surprise formidable, interprète Carol Sturka, une romancière cynique qui semble immunisée contre le virus extraterrestre ayant transformé presque toute l’humanité en une forme de conscience collective… et heureuse.

Le contraste le plus frappant de ce point de départ réside dans cette invasion alien de nature totalement pacifique, tandis que notre tête d’affiche y décèle naturellement une forme d’agression hostile. La question centrale devient alors limpide :
la recherche du bonheur (forcé) doit-elle se faire au prix de la liberté individuelle ?

Grâce à son traitement méticuleux et à un high concept d’envergure, Pluribus questionne et interroge — au détriment toutefois d’un rythme lent et de certaines intrigues parfois trop cryptiques. En d’autres termes : à ne surtout pas visionner en binge-watching, au risque d’une rupture d’anévrisme.
La série conserve néanmoins cette faculté rare d’intriguer et de capter l’attention. (une grenade, ça aide à maintenir l’attention).

INDIV1DUALITÉ

Si l’on peut parier sur un plan narratif pensé sur la longueur — comme toujours avec son créateur — ces nombreuses questions en suspens et cet aspect contemplatif finissent malgré tout par peser sur l’enveloppe globale de cette première saison (une seconde étant d’ores et déjà prévue).

On peut néanmoins saluer une atmosphère idéale, qui contribue pleinement à la compréhension des thèmes majeurs abordés : l’individualité face à la conscience collective, habilement mise en contraste dans la quête de Carol, déterminée à explorer chaque faille de ce pacifisme imposé.

Par son sens du détail impressionnant, Vince Gilligan explore en profondeur ce qui constitue un individu humain : ses failles, son égoïsme, ses doutes, sa tristesse — le deuil étant ici central — jusqu’à sa colère.

Heureusement, malgré ses défauts les plus apparents — son rythme et sa contemplation — la série parvient à extraire quelques moments brillants, notamment dans son exploration de la solitude. La fin de saison en témoigne le plus bel exemple dans « The Gap », le 7e épisode.

Si le ton employé et l’humour noir font mouche, reflétant un stoïcisme de premier degré à travers des situations parfois absurdes, cette démonstration de l’individualité a aussi un prix. Et celui-ci se paie au sein d’une distribution volontairement restreinte.

Les autres. Et moi.

Malgré un certain gigantisme à l’échelle mondiale, l’isolement de Carol — aussi brillant soit-il, notamment à travers sa confrontation à des paysages vides — réduit considérablement son nombre d’interlocuteurs.

Principal visage de cette communauté à la pensée collective, Zosia (Karolina Wydra) demeure la figure centrale face à notre anti-héroïne. Plus brièvement, les personnages d’Helen (Miriam Shor) ou du haut en couleurs Koumba (Samba Schutte) restent des profils secondaires significatifs, mais fatalement trop limités dans leurs apparitions.

Difficile toutefois de ne pas faire mention du caméo complètement inattendu de John Cena, énième exemple d'une démonstration d'explication clinique d'une grande richesse narrative. 

Reste alors Manousos (Carlos Manuel Vesga), l’autre survivant réellement marquant du récit, dont la quête personnelle fait écho à celle de Carol. Sauf qu’en étirant son suspense avec un pragmatisme toujours aussi pointilleux, Vince Gilligan prolonge l’attente jusqu’à la quasi-rupture.
Son arrivée à l’écran intervient ainsi presque trop tardivement. Quand bien même son final excite nos papilles par ses saveurs contradictoires puisqu’il exploite encore à merveille le potentiel de son concept.

Conclusion

Alors certes, dans toutes ses contradictions, la série dispose de réels atouts. Mais à l’instant T — et nul doute que le temps apportera le recul nécessaire pour reconnaître pleinement la richesse de Pluribus — sa vision unique se paie. En l’état, le nouveau coup d’éclat de Vince Gilligan ne brille pas encore de mille feux.

Néanmoins, au vu de sa renommée et grâce à un excellent démarrage, une nouvelle saison a d’ores et déjà été confirmée par la chaîne. On peut donc compter sur son showrunner pour proposer une suite plus étoffée, peut-être plus équilibrée, et capable de concrétiser pleinement les promesses esquissées ici.

EN DEUX MOTS : Ambitieuse, déroutante et profondément réflexive, Pluribus s’impose comme une œuvre atypique dans le paysage sériel contemporain. Vince Gilligan y démontre une fois encore sa maîtrise formelle et son goût pour les concepts forts, comme ici à lourde portée philosophique, et aussi porté par une Rhea Seehorn remarquable.
Si son high concept et son atmosphère contemplative intriguent durablement, la série pâtit toutefois d’un rythme volontairement lent, d’une galerie de personnages trop restreinte et d’une narration parfois excessivement cryptique. Une première saison inégale, plus fascinante dans ses intentions que pleinement accomplie, mais dont le potentiel laisse entrevoir une suite capable d’en révéler toute la richesse.

MA NOTE : 14.5/20


✅ Points forts

  • Un high concept fort et original
    L’idée d’une humanité sauvée par un bonheur imposé, perçu comme une menace, est percutante et immédiatement intrigante.
  • La maîtrise formelle de Vince Gilligan
    Narration, mise en scène, sens du détail : le créateur démontre une nouvelle fois une maîtrise impressionnante de ses outils.
  • Une atmosphère singulière et cohérente
    Le mélange de science-fiction, de thriller psychologique et de post-apocalyptique fonctionne, porté par une ambiance contemplative et pesante.
  • Un pilote remarquable
    Le premier épisode, qualifié d’« OVNI », pose des bases solides et témoigne d’une ambition rare.
  • La performance de Rhea Seehorn
    Parfaitement choisie, l’actrice incarne une protagoniste complexe, cynique et profondément humaine.
  • Des thématiques riches et stimulantes
    Individualité, liberté, deuil, solitude, conscience collective : la série interroge profondément ce qui constitue l’essence humaine.
  • Un humour noir bien dosé
    Discret mais efficace, il renforce le propos sans jamais désamorcer la gravité du sujet.

⚠️ Points faibles

  • Un rythme lent et contemplatif
    S’il sert les thèmes, il peut aussi devenir pesant et freiner l’engagement sur la durée.
  • Une narration parfois trop cryptique
    Certaines intrigues restent volontairement floues, au risque de frustrer le spectateur.
  • Une saison inégale dans ses promesses
    Après un démarrage très fort, la série peine à maintenir le même niveau d’impact.
  • Une galerie de personnages trop restreinte
    L’isolement de Carol, pourtant pertinent thématiquement, limite les interactions et la richesse dramatique.
  • Des personnages secondaires sous-exploités
    Zosia, Helen ou Koumba marquent, mais leurs apparitions restent trop brèves pour pleinement exister.
  • Une montée en tension étirée à l’excès
    L’introduction tardive de Manousos affaiblit quelque peu l’équilibre narratif de la saison.

Les crédits

CRÉATEUR : Vince Gilligan

AVEC : Rhea Seehorn, Karolina Wydra, Carlos Manuel Vesga, mais aussi : Miriam Shor, Samba Schutte (…)

ÉPISODES : 9 / Durée moyenne : 48mn / DIFFUSION : 2025 / CHAÎNE : Apple TV

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