OLD BOY

Dans le cadre d'une rétrospective sur la nouvelle vague du cinéma coréen, retour sur 3 films de 3 réalisateurs qui ont marqué mes premières années de cinéphiles. Et aficionados du genre.
Parmi eux, et au même titre que son compère Bong Joon-ho, le réalisateur Park Chan-wook est l'un des piliers de cette nouvelle vague.
Après son sacrement à l'an 2000 avec le succès de JSA, le réalisateur prolifique débute sa trilogie sur le thème de la vengeance.
Old Boy, son deuxième volet, en marque le point d'orgue, mais aussi son plus gros succès critique à l'international. Assurément l'une des références les plus marqués du cinéma coréen.

EN DEUX MOTS : Bien que son titre ne contienne pas le mot en question, contrairement à son prédécesseur (et successeur, Lady Vengeance), OLD BOY s’inscrit indéniablement dans le triptyque de Park Chan-wook consacré au thème de la vengeance. Et comme je le soulignais plus haut, ce second volet est assurément le plus iconique, au même titre qu’un classique du genre. C’est aussi l’un des plus gros succès de l’époque en Corée. (ce qui lui a même valu son remake US – largement oubliable – 10 plus tard sous la caméra de Spike Lee).

Old Boy survient tout juste 1 an après le déjà radical Sympathy for Mr. Vengeance. Par son contexte d’autant plus percutant et sous une durée identique, son réalisateur nous replonge dans un cauchemar au cœur de Séoul. Malgré son retour précoce, celui-ci pousse les curseurs du genre à son paroxysme. Et par la même occasion, il renouvelle sa mise en scène dans une démonstration bien plus endiablée. Un point technique qui dénote de son précédent film, à l’instar de sa BO très présente et énergique aujourd’hui.

A la fin des années 80, Oh Dae-Soo, père de famille sans histoire, est enlevé un jour devant chez lui. Séquestré pendant plusieurs années dans une cellule privée, son seul lien avec l’extérieur est une télévision. Par le biais de cette télévision, il apprend le meurtre de sa femme, meurtre dont il est le principal suspect. Au désespoir d’être séquestré sans raison apparente succède alors chez le héros une rage intérieure vengeresse qui lui permet de survivre.

Il est relâché 15 ans plus tard, toujours sans explication. Oh Dae-Soo est alors contacté par celui qui semble être le responsable de ses malheurs, qui lui propose de découvrir qui l’a enlevé et pourquoi. Le cauchemar continue pour le héros.

Le prix de la vengeance.

Avec son interdiction au moins de 16 ans, cette adaptation d’un manga japonais en 8 volumes ne manque pas de faire réagir. Et pour cause, sa violence, plutôt directe, se compose de quelques scènes culte. (comme son combat en plan-séquence dans le couloir ou le sectionnement d’une langue au ciseau). Enfin, pour incarner la figure centrale de son récit le metteur en scène s’entoure de l’acteur Choi Min-sik. Qui c’était notamment fait remarquer dans le biopic « Ivre de femmes et de peinture », prix de la mise en scène à Cannes en 2002.

C’est donc avec un entrain renouvelé que le réalisateur poursuit le développement de son thème consacré à la vengeance. Sous toutes ses formes. Et avec Old Boy, Park Chan-wook en dévoile l’une des plus radicales. (J’ai rencontré le diable, contribuant, elle aussi, à en être une œuvre fondatrice sur le sujet).

Son film, présenté en 2004 au Festival de Cannes, a même remporté le Grand Prix au terme de la compétition. La deuxième récompense plus prestigieuse du festival, qui, a deux voies près (dixit Quentin Tarantino, président du jury à l’époque) aurait pu remporter la Palme d’Or.

Quoi qu’il en soit, en se réappropriant largement le manga qu’il adapte, Park Chan-wook et consorts (aujourd’hui accompagné à l’écriture par 2 scénaristes) délivrent une expérience d’autant plus radicale dans les thèmes qu’ils abordent. De nouveau articulé sur 3 personnages (deux hommes qui s’opposent et une femme au milieu), le film pousse son imagerie vers de nouvelles limites d’effroi.

MONSTER. « Je sais bien que je suis pire qu’une bête…« 

Le metteur en scène commence dans tous les cas par déconstruire sa figure centrale dans une rapide introduction qui donne le tempo, mais dont la rupture de ton va d’autant plus renforcer le profil atypique de son « héros ». Alcoolique et looser notoire, comme le cinéma coréen les affectionne dans leurs réalismes pathétiques, Oh Dae-Soo semble être une âme ordinaire, faillible, happée dans un cauchemar inexplicable. Sa longue captivée est alors aussi sensationnelle qu’irréel. Et à son terme, l’intrigue nous reconnecte à son introduction.

Old Boy navigue alors sur la vision d’un fugitif malgré lui qui redécouvre le monde urbain. Entre humour burlesque et désinvolture, le profil de Dae-soo est fatalement désaxé de la réalité. (La preuve avec cet homme qui se jette du toit, sans que Dae-soo ne réagisse). Et c’est précisément via cette dynamique que le film va poursuivre son aventure sous différents tempos : la légèreté bouffonne et romantique, l’ultra-violence ou le malaise sadique.

Sa rencontre d’apparence fortuite avec la jeune Mido (Gang Hye-jung) ajoute naturellement une dimension plus romanesque à l’aventure de Dae-soo. Alors animé par un besoin d’attention, de réponses et surtout de vengeance largement perceptible. Ce qui le conduira à quelques rares moments d’action, mais savamment exécutés. Dont aucun ne dépassera sa cultissime scène en plan-séquence, tourné à l’horizontale. Un déchaînement d’énergie dans un combat au marteau et à main nue, couteau dans le dos, devenu une référence du genre. 🔨

Plus tardivement, et parallèlement, l’intrigue va présenter le mystérieux persécuteur de Dae-soo, sous les traits de l’acteur Yu Ji-Tae. L’intrigue dresse alors une figure d’opposition d’apparence charmeuse, énigmatique, fortunée et manipulateur, qui se plaît à tourmenter directement notre fugitif. C’est ainsi que le film nous précipite avec fluidité dans sa deuxième moitié. Aux réponses salvatrices et parfois dérangeantes.

Le jeu des mots.

Mais outre son postulat fou qui englobe et dynamise l’ensemble du long-métrage, cette nouvelle œuvre de Park Chan-wook dispose naturellement d’une dimension burlesque conséquente. C’est pourquoi son déroulement se veut plutôt théâtral, minimisant quelque peu son cynisme fou. Toutefois, malgré les richesses de son scénario, le film peine à me bouleverser. Et c’est principalement son seul défaut (de taille).

Old Boy dispose dans tous les cas d’une fluidité quasiment aux antipodes du précédent film de son réalisateur. Qui était très statique. Sa mise en scène, son rythme et son découpage le prouvent à chaque instant. Cela rappelle forcément la nature du manga dont il s’inspire. Tandis que sa bande originale contribue à cette vision du temps qui passe et nous rapproche de son dénouement terrible en révélant peu à peu les secrets de son histoire.

La grande scène finale dans le penthouse survient finalement assez tôt durant sa deuxième heure. Privilégiant la longue descente aux enfers, psychologique, pour notre figure principale, son tortionnaire – Lee Woo-jin – se révélant bel et bien comme une facette miroir plus que d’opposition pour Dae-soo. Via une vengeance retord, justifiée par le poids des mots, eux-mêmes responsables indirectes du suicide de sa sœur bien-aimée (Yoon Jin-seo).

Naturellement, c’est quand la fresque vengeresse tutoie la nature d’inceste de son histoire qu’elle bouleverse son mince équilibre. Affichant son antagoniste comme un désaxé forcené flirtant avec la mort et son héros comme une figure pathétique malgré lui. Encore une fois. Ravagé par la haine et la peur, Dae-soo se livre alors à un exercice de supplications bouffonnes. Qui va se solder par cette scène choc, et pourtant hors caméra, d’ablation de sa langue. Et ensuite, par le suicide de Lee Woo-jin dans l’ascenseur, débarrassé d’une quelconque raison de vivre.

Conclusion

« Je sais bien que je suis pire qu’une bête. Pourtant j’ai le droit de vivre, n’est-ce pas ?« 

Son épilogue de presque dix minutes s’avère être une longue scène à la limite du fantasme pour Dae-soo. Mais dont le silence ne minimisera pas la douleur. Malgré sa noirceur abyssale, il y a quelque chose de poétique et romanesque dans Old Boy. Notamment via sa notion d’amour, aussi tordue d’ambiguïté soit-elle dans ses derniers instants.

Quoi qu’il en soit, ce deuxième volet de la trilogie de la vengeance demeure, sans aucun doute, radical et poussé dans ses retranchements narratifs. Plus de vingt ans après, Old Boy reste un classique iconique qui nous questionne sur les mobiles de la vengeance. Un sujet qui passionne le cinéma de genre, et notamment coréen.


Les + :

  • Un nouveau de postulat de départ complètement dingue et exaltant.
  • La frontière de réincarnation complète de son personnage central, magnifiquement interprété par l’impérial Choi Min-sik. De sa combativité à son comportement pathétique.
  • Son parcours atypique et théâtral qui rend hommage au manga dont il s’inspire. Et propose quelques scènes d’une rare violence.
  • Son formidable plan-séquence, indémodable.
  • Une B.O très présente et qui rythme merveilleusement son aventure vengeresse.
  • Son dénouement terrible et ambigu, notamment lorsqu’il embrasse le sujet de l’inceste.
  • Son thème sur la vengeance savamment exploré ici, notamment via ses deux figures miroirs et masculines.

Les – :

  • Dans sa grandiloquence, le film aussi fou soit il, peine à bouleverser. Et c’est peut-être sa folie théâtrale qui l’absout de force émotionnelle.

MA NOTE : 16/20

Les crédits

RÉALISATEUR : Park Chan-wook / SCÉNARIO : Jo-yun Hwang, Joon-hyung Lim et Park Chan-wook

AVEC : Choi Min-sik, Yu Ji-Tae, Gang Hye-jung, mais aussi : Kim Byeong-Ok, Oh Dal-su, Ji Dae-han, Yoon Jin-seo (…)

SORTIE (France) : 29 Septembre 2004 / DURÉE : 1h59

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