
Dans le cadre d'une rétrospective sur la nouvelle vague du cinéma coréen, retour sur 3 films de 3 réalisateurs qui ont marqué mes premières années de cinéphiles. Et aficionados du genre.
Je commencerai par celui qui fut longtemps mon metteur en scène favori : Kim Jee-woon.
Son marquant 6e long-métrage, J'ai rencontré le diable, sorti en 2010, puis en juillet 2011 en France, est invariablement une œuvre noire qui transcende le "vigilante movie". Regardez (si vous l'osez) et vous verrez.
EN DEUX MOTS : Après quelques années où les productions coréennes ont le vent en poupe, J’ai rencontré le diable s’inscrit comme un film coup de poing. Et pas seulement dans son genre. Entre les talentueux, Bong Joon-ho aux élans satiriques, Park Chan-wook et ses concepts salvateurs, ou l’énergie nouvelle de l’outsider Na Hong-jin, le talentueux réalisateur Kim Jee-woon s’est quant à lui imposé par sa mise en scène inspirée. Un réalisateur d’exception, qui navigue entre les genres, jusqu’à son 6e film choc.
2 ans après son superbe western oriental – Le Bon, La Brute et le Cinglé – celui-ci s’éloigne de l’écriture pour pleinement mettre en scène le film de vengeance ultime. Avec ses 2h22 au compteur et une interdiction au moins de 16 ans (avec avertissement), J’ai rencontré le diable s’inscrit comme une plongée au plus profond de l’abîme. Qui côtoie le mal à l’état pure.
Un agent secret recherche le serial killer qui a tué sa fiancée…

Avec un postulat étrangement simple et concis, ce nouveau film de genre fait graviter deux êtres en son centre. Au cœur d’une horreur indicible. Pour sa 3e collaboration consécutive, le réalisateur offre à Lee Byung-hun le lead du vigilante. Un sous-genre qui définit également le film.
Néanmoins, dans une mesure égale, sa chimère se dévoile sous les traits de l’imposant Choi Min-sik. (qui retrouve également le réalisateur après The Quiet Family, son premier film, non distribué en France). L’inoubliable visage d’Old Boy incarne aujourd’hui LE monstre sans états d’âme de son titre.

Au-delà de son concept de simple fable vengeresse, sa durée conséquente s’explique par un déroulement plutôt inattendu, qui survient assez tôt dans le film. Ce qui va ensuite nous précipiter dans un tourbillon de violence surréaliste.
Avec cette critique full spoilers, retour sur LE film coréen qui m'a le plus ébouriffé. Pour preuve, très attendue et peu distribué, il s'agit du seul film que j'ai été découvrir expressément sur Paris, le jour de sa sortie en salle obscure.
À la croisée des regards assassins.
Malgré la musique douce qui ouvre le film, J’ai rencontré le diable débute son histoire dans une introduction glaciale et révélatrice. Très vite, cette nuit d’hiver enneigé, dans les bordures de Séoul, va se transformer en un cauchemar bien réel. Celle d’une proie (Oh San-ha) happée par un prédateur tapi dans l’obscurité. C’est l’une des nombreuses forces du film, un montage qui favorise le suspense et nous mène à des actes de violences sensationnelles.
Et comme la musique aura encore un rôle crucial dans le film de Kim Jee-woon, elle jouera sur deux tempos de son récit. Le drame et l’émotion, le thriller et l’intensité.

Sa première partie regorge ainsi d’allégories de genre grâce à ses scènes concrètes savamment exécutées. La victime qui supplie son bourreau, la découverte du corps, le deuil familial… Sauf que le film y rajoute une nature de gravité saisissante. Tel que la vision d’une femme nue et ensanglantée sous une bâche, la tête de la victime qui tombe devant son fiancé, ou un beau-père (Jeon Kuk-hwan) qui pleure cet amour perdu.
On retrouve ici la nature burlesque et pathétique typique du cinéma coréen, mais sous l’exécution efficiente de son réalisateur. Une exécution qui n’occulte pas l’émotion, comme le dévoile son superbe montage qui appuie la souffrance de son vigilante. Dont la tristesse va rapidement se muer en une haine palpable. C’est ici que son ultra-violence prend tout son sens.

Lancé dans une quête de vengeance sans concessions, notre « héros » va rapidement prouver sa détermination. Notamment dans sa poursuite de suspects qui verra l’un d’eux se faire marteler le pénis par une clé à molette. Une vision, sans concessions. Ainsi, après 45 minutes d’une rare efficacité, J’ai rencontré le diable conclut sa première partie par un face-à-face au sommet. Qui va alors révéler son véritable but :
Le jeu (sadique) du chat et de la souris…
« Attraper, puis relâcher. Attraper, puis relâcher ». Son passage dans l’antre du diable a bien accentué la motivation noire de son justicier endeuillé. Ainsi, une fois son ennemi acculé, après une nouvelle scène de baston qui déborde encore d’énergie, celui-ci va relâcher sa proie pour se transformer en un chasseur obsédé par la vengeance. Quitte à perdre en cours de route son humanité, comme le prouve son indifférence face aux atrocités qu’il commet et s’apprête à commettre. Mais aussi les conséquences qui vont en découler.
C’est ici l’occasion d’appréhender toute la dégénérescence dont peut faire preuve sa proie. Meurtrier, et violeur de surcroît. Pour preuve, après sa première libération, le terrible serial killer parvient à violer une jeune femme avant d’être stoppé dans une furie ahurissante. (premier dommage collatéral laissé dans le sillage d’une libération anticipé). Ce qui va déboucher sur une scène choc avec l’ablation d’un de ses tendons d’Achille, sans caméra qui détourne le regard.

Note d’intention
Bien que J’ai rencontré le diable se présente comme un vigilante (film d’auto-justice) nihiliste et extrême, Kim Jee-woon assure que ce qui l’intéresse avant tout, ce sont ses personnages : « J’ai rencontré le diable s’articule autour des émotions et des actes de deux hommes qui se torturent au nom d’une certaine idée de la vengeance, plutôt que sur un schéma qui corresponde aux canons d’un film de genre. Je voulais observer l’énergie primitive qui surgit du clash entre la folie furieuse et la démence glaciale. Je voulais voir la confrontation explosive entre Choi Min-sik, aussi brûlant qu’une boule de feu, et Lee Byung-Hun à la précision de jeu sans égal. »
Source : AlloCiné
Dans un cas comme dans l’autre, la performance de deux acteurs est totale. Lee Byung-hun compose une palette d’émotions impressionnantes, entre haine et sentiments contrits. Tandis que face à lui, la pointure Choi Min-sik incarne le Mal absolu. Irrévérencieux, aux comportements violents, démoniaques et qui ne ressent aucune culpabilité, qui n’éprouve aucun regret pour les atrocités qu’il commet.

…Dans une Corée de dégénéré.
Durant sa partie endiablé du jeu du chat et de la souris, le thriller va alors ponctuer son aventure par quelques moments frénétiques. Park Young-hoon signe avec J’ai rencontré le diable son premier scénario. Outre son habile nuance sur les actes commis au nom de la justice, son histoire peut d’abord paraître invraisemblable dans sa rencontre consécutive avec des profils extrêmes. Et pourtant, on ne peut que jubiler devant ce carnage sadique.
Allant de son duo meurtrier – faux chauffeur/client – jusqu’à son couple cannibale (Choi Moo-sung / Kim In-seo). Dans les deux cas, Kim Jee-woon met en scène des moments d’actions qui font mouche. De sa caméra circulaire dans le taxi, via un plan-séquence dingue, jusqu’à son point d’orgue dans le manoir, ou la frénésie se déchaîne dans des chorégraphies d’une fluidité impressionnante.
L’ultime cap que son vigilante n’aurait pas dû franchir dans sa quête de vengeance aveugle. Preuve à l’appui lorsque celui-ci perd réellement le contrôle de la situation et se met à déchirer la mâchoire de cet effroyable (et insupportable) mangeur de chair humaine à l’hôpital.
Le film s’ouvre sur une citation de Nietzsche tirée de Par delà le bien et le mal : « Que celui qui lutte avec des monstres veille à ce que cela ne le transforme pas en monstre. Si tu regardes longtemps au fond de l’abîme, l’abîme aussi regarde au fond de toi.”

Qu’a tu fait ? Qu’es-tu devenu ?
Après sa deuxième partie encore plus conséquente et violente, le film nous précipite vers un dénouement d’autant plus extrême. Triste finalité de la question de se faire justice soi-même. Dans un montage d’autant plus fluide, le réalisateur allie énergie furieuse et long suspense. J’ai rencontré le diable marque les conséquences irréversibles de cette chasse à l’homme.
Elle débute ainsi par la fougueuse émancipation de cette proie blessée et sous-estimée, dans un déchaînement de violence d’autant plus frénétique. Deuxième, troisième quatrième puis cinquième dommage collatéral laissé dans son sillage. Son pharmacien poignardé, chauffeur tabassé, et beau-père défiguré laisse place à l’innocente belle-sœur également violée et tuée (Kim Yoon-seo, très convaincante dans un rôle qui aurait mérité d’être d’autant plus peaufiné). L’ultime conséquence d’une vengeance sourde.

« Quoi que tu fasse, tu as déjà perdu. »
S’il manque peut-être une dernière scène atroce sur la mort de ce personnage, le réalisateur prend le temps de mettre en œuvre un ultime face-à-face entre ses deux stars. Un face-à-face dans l’antre du diable à la vision pathétique puis sous forme de désillusion. Il s’agit probablement de la fin amère la plus à même de convaincre puisqu’elle finit d’asseoir son propos sur ce besoin de se faire justice soi-même.
Sa scène finale, symbolique, se révèle assez cruelle, compte tenu de l’image qu’elle renvoie : une décapitation en bonne et due forme (magnifique travail sur l’image) devant fils et parents. Mais ce qui se révèle encore le plus percutant, à mon sens, c’est la détresse émotionnelle de son héros sur ses horreurs commises. Qui se révèlent veines. Une scène puissante d’où se détache une bande-originale toujours superbe.
Conclusion
J’ai rencontré le diable s’inscrit ainsi, et définitivement, comme une œuvre choc et sans concessions. On pourrait lui reprocher un esthétisme qui aurait mérité d’être légèrement peaufiné ou quelques profils trop peu exploités malgré leurs richesses tragiques. Toutefois, son portrait de héros qui navigue toujours au plus près des enfers s’avère tellement percutant que le film nous avale entièrement. Un exercice de style effrayant sur la nature humaine.

Il s’agit également, et hélas, du dernier film notable de Kim Jee-woon. Jusqu’à présent. Preuve que, 15 ans après, cette rencontre avec le(s) diable(s) demeure irrésistible. Assurément une perle issue de la nouvelle vague du cinéma coréen, mais également l’un de mes coups de cœur les plus extrême. (Ma notation n’est pas due au hasard). Regardez (sans détourner les yeux) et vous verrez.
Les + :
- Un film de genre qui transcende son concept par sa radicalité et son cheminement impitoyable.
- 2h22 de film rythmé de manière endiablée.
- Deux figures d’oppositions, têtes d’affiche extrêmes dans leurs motivations respectives. Lee Byung-hun toute en émotion contrite et Choi Min-sik en monstre total.
- La direction de son metteur en scène, entre une énergie débordante et un suspense savamment efficace.
- Quelques scènes classiques du genre, mais transcendées par un savoir-faire indéniable et une b.o poignante. (à l’instar de la grande scène tragique de la découverte de la « tête »).
- Une bande-originale signé MOWG percutante et qui navigue grossièrement entre deux tempos : émotion et intensité.
- Des moments d’une violence ahurissante, avec une caméra au cœur de l’action.
- Des scènes d’action assez virtuose, comme par exemple sa la scène à l’arme blanche dans le taxi…
- Un monde noir et cruel, sans concessions (entre viol et cannibalisme), et qui regorgent d’êtres infâmes.
- Les terribles conséquences qui vont découler de ce jeu sadique.
- Le portrait percutant d’un homme intègre et endeuillé devenu monstre pour en traquer un.
Les – :
- Un esthétisme très naturel et qui aurait pu jouir d’un jeu de lumière accentué et d’un filtre plus peaufiné pour marquer la rétine. (Et pour preuve, quelques plans sont tout de même ancrés dans ma mémoire).
- Quelques profils qui auraient mérité d’être peaufinés. À l’image d’une belle-sœur en deuil, dernière victime collatérale laissée dans le sillage du diable ou d’une cannibale (?) mutique.
MA NOTE : 18/20

Les crédits
RÉALISATION : Kim Jee-woon / SCÉNARIO : Park Young-hoon
AVEC : Lee Byung-hun & Choi Min-sik…, mais aussi : Cheon Ho-jin, Jeon Kuk-hwan, Oh San-ha, Kim Yoon-seo, Choi Moo-sung, Kim In-seo (…)
SORTIE (France) : 06 Juillet 2011 / DURÉE : 2h22