EMILIA PÉREZ

EN DEUX MOTS : l’un des événements cinématographique de cette fin d’été se trouve sur grand-écran. Après avoir fait sensation en mai dernier, à Cannes, le dixième film du renommé Jacques Audiard se dévoile dans les salles obscures et risque de marquer sa carrière durablement. En évoluant entre plusieurs genres du drame au fil des années, le réalisateur français se réinvente cette fois dans un mélange tonitruant.

Pur drame, thriller intense et « comédie » musicale sont les principales caractéristiques d’EMILIA PÉREZ, son nouveau film. Et plus secondairement la télénovela ou encore l’opéra pour un long-métrage hors-normes. Sa bande-annonce exquise et rythmée a suffi à me faire trépigner d’impatience. Tandis que son synopsis, toujours sous la plume du metteur en scène, révèle une profondeur et une inspiration admirable d’inventivité.

Surqualifiée et surexploitée, Rita use de ses talents d’avocate au service d’un gros cabinet plus enclin à blanchir des criminels qu’à servir la justice. Mais une porte de sortie inespérée s’ouvre à elle, aider le chef de cartel Manitas à se retirer des affaires et réaliser le plan qu’il peaufine en secret depuis des années : devenir enfin la femme qu’il a toujours rêvé d’être.

Allociné

En premier lieu, je ne suis pas un fervent fan du travail de Jacques Audiard. (dont je n’ai vu que la moitié de sa filmographie). Cependant, je dois avouer que son concept et sa réalisation d’aujourd’hui font, d’EMILIA PÉREZ, son projet le plus excitant. À mes yeux, et de loin. À 72 ans, le cinéaste français accouche d’un projet monstre et florissant, dont la production à rencontrer quelques turbulences. Décors, chorégraphies, répétitions, on imagine aisément l’ampleur du projet qui met en scène un trio féminin sur mesure.

La floraison

Récompensé par un prix de l’interprétation féminine commun (pour son quatuor, pour le coup), mais aussi du prix du Jury, EMILIA PÉREZ se dévoile donc comme une fable féministe puissante, principalement en langue espagnole, et qui place le plus gros de son action à Mexico City. Pourtant, la quasi-totalité du film a été tournée dans les studios de Bry-sur-Marne, en région parisienne. Une nouvelle caractéristique sur mesure pour un film qui l’est tout autant ? Oh que oui.

En abordant le sujet forcément délicat de la transsexualité, Jacques Audiard ne navigue pas en terrain connu. À ce titre le parcours de l’une de ses actrices, Karla Sofía Gascón, assurément la révélation du film, se révèle indispensable à la bonne réalisation de son histoire. Toutefois, le réalisateur débute son histoire sous la perspective d’un autre personnage, Rita (Zoe Saldaña). La célèbre actrice américano-dominicaine embrasse aujourd’hui son meilleur rôle. Et de loin, dans la peau d’une avocate blasé et pragmatique.

Non sans-humour, le cinéaste dresse le portrait (sensoriel) d’un personnage féminin riche et qui, à l’instar des spectateurs, va assister à la naissance d’Emilia Pérez. La première partie est pour cela exquise et dévoile tous les atouts du long-métrage : rythme, esthétisme, nuances et performances. Qu’elles soient musicales ou d’acting. Deux points qui vont merveilleusement corréler comme le démontrent les nombreuses chorégraphies signées par les compositeurs Camille et Clément Ducol.

L’Ode aux femmes

Sa bande-son est fatalement l’un de ses plus gros atouts. Et pour revenir au portrait central de Rita, je l’ai trouvé plus sensoriel que personnelle puisque c’est via ses émotions et son ressenti envers Emilia Pérez que le film se construit. Karla Sofía Gascón incarne donc Manitas avant de devenir femme, dans un portrait bluffant et tamisé. Un portrait bouleversant en contradiction totale avec sa nature de baron intimidant qui se prolonge également via sa famille.

C’est ici que l’enivrante Selena Gomez se démarque dans son rôle de jeune épouse (et mère) abandonnée. Puis dans sa renaissance de désir. Finalement, et même si sa bande-annonce spoile une grosse partie du cours de l’intrigue, le film ne manque pas de rebondissements pour faire fleurir une histoire passionnante et inventive. Et toujours esthétiquement enivrante. Néanmoins, en mettant en scène la plus grosse partie du film en studio, celui-ci manque parfois de profondeur. La ou ses chorégraphies gagnent en fluidité et en éclairage artificiel pour un spectacle visuel irréprochable.

À mi-chemin entre le drame et le thriller, EMILIA PÉREZ est, dans tous les cas, traversé de tension, mais aussi de poésie. Assurément, le portrait toute en force émotionnel d’Emilia est au cœur des meilleurs moments du film. Qu’ils s’agissent de sa recherche d’émancipation puis de rédemption.

De plus, que sa nouvelle identité flirte avec son passé demeure une merveilleuse idée qui amène de superbes pistes narratives. Certaines sont néanmoins trop peu exploitées, à l’instar du personnage d’Epifania (Adriana Paz), qui survient trop tard dans le montage. Et pour une utilisation trop restreinte. Ironiquement, et même si cela évite quelques longueurs, les 2h10 de son film ne s’avère presque pas suffisante au vu de sa richesse.

CONCLUSION

EMILIA PÉREZ demeure l’un des plus beaux longs-métrages de cette année 2024. Un cocktail de genres tonitruant et qui a su tirer parti de sa partition musicale trop souvent balisé au drame et la romance. Deux genres que le film explore pourtant à merveille. Mais pas que.

Si même parmi ses plus belles qualités le film est traversé de légères faiblesses, EMILIA PÉREZ est non seulement une ode aux femmes, mais aussi au cinéma. Ce qui en fait une double réussite. Jacques Audiard s’inscrit définitivement au Panthéon des meilleurs réalisateurs français.


Les + :

  • Un synopsis inventif et profond qui rend hommage à la transsexualité, sans excès.
  • Son cocktail de genres détonnant. Du drame pur, le thriller intense jusqu’à la comédie musicale enivrante. Viennent en plus s’y ajouter des touches de télénovela, d’opéra ou de romance.
  • Un trio d’actrices au sommet de leur art. Zoe Saldaña comme on ne l’a jamais vu, la jeune et enivrée Selena Gomez et la révélation Karla Sofía Gascón.
  • Le double portrait bouleversant de Manitas/Emilia dans un parcours très réussi. De son envie profonde de vivre sa véritable vie jusqu’à une rédemption salvatrice. Vient s’y greffer un portrait de mère déterminée et déterminant.
  • À cela, le montage et le rythme du film sont idéals et parfaitement ponctués (de différents rebondissements comme de partitions musicales).
  • Ses chorégraphies musicales endiablées et inspirées. Souvent renforcés esthétiquement par son travail en studio.

Les – :

  • Malgré ses 2h10 bien exploités, le film survole quelques aspects passionnants de son histoire. Comme sa partie thriller sur les relations criminelles d’Emilia ou le rôle d’Adriana Paz trop peu exploitée.
  • La mise en scène réaliste de Jacques Audiard subit quelques limites visuels dans le manque de profondeurs de ses décors en studio.

MA NOTE : 16/20

Les crédits

RÉALISATION & SCÉNARIO : Jacques Audiard

AVEC : Zoe Saldaña, Karla Sofía Gascón, et Selena Gomez, mais aussi : Adriana Paz, Édgar Ramírez, Mark Ivanir (…)

SORTIE (France) : 21 aout 2024 / DURÉE : 2h10

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