CIVIL WAR

EN DEUX MOTS : D’Alex Garland on peut retenir une belle carrière de scénariste orienté vers la S.F. et depuis bientôt 10 ans, celle florissante de réalisateur. Après le superbe Ex Machina, l’envoûtant Annihilation, l’élégante série DEVS et le plus tranché et horrifique MEN il y a 2 ans, le Britannique écrit et réalise l’ambitieux CIVIL WAR.

Une équipe de journalistes parcourt les États-Unis en proie à une guerre civile sans précédent. Ces derniers ne sont alors qu’armés de leur matériel. L’armée américaine, de son côté, est chargée de tirer à vue sur les reporters.

En embrassant pour la première fois pleinement un contexte de guerre, Alex Garland imagine une Amérique en proie à la terreur. Mais aussi à la désinformation. Un point qui va s’avérer crucial dans son quatrième film. Son nouveau long-métrage est également son premier blockbuster, mais surtout la plus grosse production du studio A24 jusqu’alors. Un studio à la réputation grandissante et qui vise habituellement petit. Avec ses différentes caractéristiques alléchantes, difficile de ne pas être enthousiaste avec la sortie printanière d’un film qui s’annonce intense.

Néanmoins, avec moins de deux heures de contenu et un sens du spectacle qui semble primer sur le reste, CIVIL WAR ne privilégie-t-il pas plus sa forme que son fond ? Ou Alex Garland et A24 ne redéfinissent-ils pas ce que le blockbuster peut faire de mieux en 2024 ? Eh bien, un peu des deux en réalité. Car CIVIL WAR n’est ni un blockbuster type qui ravira les fans d’action, ni une fable politique renversante. En revanche, dans sa démonstration de chaos surréaliste et contemporain, le film s’avère saisissant.

LA CHUTE DE L’AMÉRIQUE

Après une pré-élocution révélatrice dans ses premiers instants, CIVIL WAR nous plonge vite dans un pays en proie au chaos. Ni maintenant, ni plus tard, le réalisateur/scénariste ne cherchera à réellement étayer la raison de ce chaos. Même si quelques miettes (croustillantes) traînent au détour d’une conversation. Seuls les faits comptent, et ils sont accablants. Une scène plus tard, le film nous plonge dans l’enfer de l’insécurité en plein New York. Cohue, violence, attentat, corps en charpie ne sont que le reflet d’un pays fracturé.

Contrairement à ce que laisse entendre sa magnifique affiche promotionnelle qui rappelle le chef-d’œuvre Apocalypse Now, un autre fiasco d’une guerre made in America, CIVIL WAR ne va (quasiment) pas se dérouler dans la grande pomme. En réalité, le film d’Alex Garland est une grande fable de guerre d’anticipation avec un point de vue restreint. Un petit point de vue, mais d’une richesse évidente.

Au cœur de la guerre et de ses affrontements, qu’ils soient larges comme tout à fait minimaliste, se placent les journalistes. Et plus précisément les reporters de guerre. S’il dirige quelques têtes qui lui sont familières (comme Sonoya Mizuno ou Nick Offerman en Président Américain), le réalisateur s’entoure aujourd’hui d’un riche casting, en partie inédit. La discrète, mais toujours avisée, Kirsten Dunst, y tient une place centrale dans la peau d’une photographe de guerre chevronnée.

À ses côtés, le Brésilien Wagner Moura cimente sa carrière Hollywoodienne, tandis que l’attendrissant Stephen McKinley Henderson demeure un second rôle de choix. Enfin, la distribution centrale se complète de la jeune Cailee Spaeny, formidable révélation que j’ai découverte dans Mare of Easttown et… DEVS. Celle-ci incarne le profil de novice idéal pour plonger dans l’enfer de la guerre. Ensemble, ils forment le quatuor improbable et très réussi dans ce road-trip désenchanté.

LA ROUTE

Sur près de 1 400 km et par le biais de nombreux détours dans plusieurs États, notre équipe va ainsi voyager de N.Y. à Washington D.C. pour assister à la chute de l’Amérique, dans sa forme la plus solennelle. Entre-temps, CIVIL WAR ne s’encombre pas vraiment de scènes inutiles, même si on peut démentir qu’elles jouissent d’un rythme effréné malgré sa « courte » durée. Son montage privilégie, à l’instar de ses scènes d’actions, aussi bien l’intime que le sensationnel. Dans les deux cas, ses scènes sont révélatrices d’un mal qui ronge le pays.

CIVIL WAR jouit, dans tous les cas, d’une tension quasi-constante. Ou du moins durant son premier visionnage. Ici, le réalisateur parvient à saisir sans mal l’âpreté de la violence, même si j’ai sincèrement regretté un certain frein sur celle purement graphique. Une violence qui, à mon sens, aurait contribué à l’intensité et à l’effet choc de quelques scènes clé.

En revanche, Alex Garland ne manque pas de tact quand il s’agit de présenter (très succinctement) une quelconque menace armée, pour un résultat souvent effrayant. L’apparition du formidable Jesse Plemons (le mari de la tête d’affiche) en est le parfait exemple dans une scène de racisme glaçante. Dans tous les cas, ses différentes scènes sont là pour grossir un propos brûlant (et passionnant) sur une ère politique ambiguë. Évidemment, et d’autant plus à l’heure où l’information circule en pagaille, le film risque de diviser. Ce qu’il fait déjà aux États-Unis.

Enfin, sur des aspects beaucoup plus techniques, CIVIL WAR s’avère bel et bien une production solide. Et dont le budget semble avoir été finement exploité, entre pyrotechnie et échanges de tirs plus vrais que nature dans des paysages désolé. Il lui manque des scènes de masses à proprement spectaculaires, mais le long-métrage se rattrape par son réalisme bluffant.

Le réalisateur use, en plus, d’une mise en scène entraînante et d’une atmosphère crépusculaire pour achever son film. C’est d’autant plus dommage que celui-ci réduise son hémoglobine, notamment vu l’immersion qu’elle propose. Sa dernière partie en est l’aboutissement, tout comme celui des personnages, mais s’avère nuancée, entre force narrative et restriction d’émotion.

CONCLUSION

Ironiquement, en nous plongeant au cœur du conflit, mais étant avares en informations (de son contexte aux protagonistes qui le composent) Alex Garland diminue la force émotionnelle de sa fable guerrière. Demeure un drame incisif, habilement réalisé, qui aurait mérité d’être approfondie là où ses grandes idées pullulent. Entre un propos qui divise (principalement les Américains) et une campagne pub un brin mensongère (voir les posters ci-dessus) CIVIL WAR ne laisse pas indifférent. Et ça, c’est essentiel.


Les + :

  • Un point de départ formidable, riche, crédible et glaçant.
  • Un quatuor bien dosé et parfaitement interprété. Mention spéciale à la gent féminine avec la novice face au modèle d’expertise.
  • Quelques embardées au cœur de l’Amérique dans ce qu’elle a de plus effrayante.
  • En plus de ses décors et de sa pyrotechnie crédible et réaliste, le film fait preuve d’une montée en tension exemplaire.

Les – :

  • Un manque d’éclaircissement assez flagrant sur le pourquoi et le comment du film.
  • Au-delà du magnétisme de la distribution, les rôles manquent d’être approfondis sur quelques points.
  • Une restriction de l’hémoglobine qui a pour effet (personnel) de diminuer la force de quelques scènes chocs et sans tabous.

MA NOTE : 15.5/20

Les crédits

RÉALISATION & SCÉNARIO : Alex Garland

AVEC : Kirsten Dunst, Wagner Moura, Cailee Spaeny, Stephen McKinley Henderson,

mais aussi : Sonoya Mizuno, Jefferson White, Jesse Plemons, Nelson Lee, Jin Ha, Karl Glusman, et Nick Offerman (…)

SORTIE (France) : 17 avril 2024 / DURÉE : 1h49

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