
Dans le cadre d'une rétrospective sur la nouvelle vague du cinéma coréen, retour sur 3 films de 3 réalisateurs qui ont marqué mes premières années de cinéphiles. Et aficionados du genre.
Je commencerai par celui qui fut longtemps mon metteur en scène favori : Kim Jee-woon.
Son 4e long-métrage, sortie en 2005, A Bittersweet Life, est un coup de cœur du genre. Qui se distinguer, déjà, par sa mise en scène virtuose. Mais aussi sa nature émotionnelle qui a toujours fait tilt à mes yeux.
EN DEUX MOTS : Prolifique réalisateur qui aborde et mélange différents genres (comédie, drame, horreur…), Kim Jee-woon s’est donc révélé, pendant longtemps, comme mon réalisateur coréen favori. Et ce, malgré une filmographie inégale. (notamment au cours des années 2010.) Ainsi, après 3 films, son cinéma s’inscrit définitivement dans une mouvance de renouveau, qui atteint un certain apogée avec J’ai rencontré le Diable. Avant son rapide passage hollywoodien, en 2013.
A Bittersweet Life s’inscrit comme mon premier coup de cœur du metteur en scène, qui aborde ainsi le film noir, mais avec une belle (mais pas grande) part de drame sentimental. Une beauté qui anime ce film de vengeance et lui permet de se distinguer malgré son postulat classique.
Un chef de gang soupçonne sa petite amie Hee Su d’avoir une liaison avec un autre homme. Il demande à son bras droit, Sun Woo, de la suivre, avec l’ordre de les tuer tous les deux s’il les surprend ensemble.
Le film n’en demeure pas moins un thriller sombre et violent, qui brille par la virtuosité de sa mise en scène. Présenté en sélection officielle au Festival de Cannes hors compétition, et en compétition au festival du film asiatique de Deauville 2006 (un festival que j’ai pu faire quelques fois avant son arrêt hélas), A Bittersweet Life se pose assurément comme un petit classique du genre. Notamment durant le début des années 2000, prolifiques en la matière.

Retour donc, sur ce film de genre, revu pour l’occasion dans une version grisante restaurée en 4K. Et qui plus est, dans un director’s cut rallongés de quelques minutes. Assurément la meilleure façon de profiter des qualités qu’offre le cinéma de Kim Jee-woon.
Un film noir, entre clair et obscur…
Pour son premier thriller ou film noir à proprement parler, le réalisateur crée un univers de toute pièce qu’il se plaît à dépeindre sous différents aspects visuels. De ces décors urbains sophistiqués (en hauteur) ou bien plus délabrés dans ces niveaux inférieurs, A Bittersweet Life suit le parcours d’un fidèle homme de main qui se dévoile sous les traits du charismatique Lee Byung-hun. Celui qu’on considère comme le Brad Pitt coréen, débute sa collaboration fructueuse avec le metteur en scène dans un rôle qui met parfaitement en valeur ses différents atouts. Physique comme théâtrale.

Son introduction prend merveilleusement la température de ce qui nous attend durant deux petites heures. Le tout sous une caméra inspirée. Rythmé par une bande-son tout aussi inspiré (un atout curieusement rare dans les productions coréennes) et des chorégraphies d’action lisible et pêchu, le thriller se dévoile sous une enveloppe soignée. Kim Jee-woon compose un univers élégant, entre obscurité et lumière, ou évolue ces petites frappes et autres gangster sous une hiérarchie bien visible.
…Avec quelques reflets rouges.
Cette hiérarchie sera d’ailleurs l’équilibre même du récit. Dans sa structure et dans la relation particulière qui va opposer le disciple à son maître (Kim Young-chul). Un équilibre qui sera moteur dans son dynamisme via deux scènes centrales, au rapport de force inversée. (Deux scènes qui vont conclure à la fois la première moitié et seconde moitié du film.)

A Bittersweet Life ne se contente pas de présenter de l’action, des cascades et de la violence. Le réalisateur Kim Jee-Woon a tenu à ce que les acteurs du film développe un jeu particulièrement expressif.
Le réalisateur s’exprime sur cet élément essentiel de son univers cinématographique : « Ce sont certaines expressions du visage qui me font aimer le cinéma. Quand les visages trahissent l’énigme, le poids du destin ou le mystère, je me demande ce qui suscite ces expressions et ces mimiques. Pour moi, le film noir est le genre qui permet d’obtenir la plus large palette d’expresions (…) ».
Source : AlloCiné
Si le déroulement de ce thriller s’avère finalement sans grande surprise, A Bittersweet Life brille avant tout par son exécution à l’écran.
Sa musique, donc, contribue à guider le spectateur sur l’état émotionnel de sa tête d’affiche. Mais aussi un jeu d’acteur subtil et expressif au possible. Pour preuve, dans les motivations qui animent le disciple et son maître, les deux face-à-face évoqués ne pose (quasiment) aucun mot à la situation, mais bel et bien des expressions. Aussi contradictoire et flou peuvent elles paraître. Un atout sensoriel non dénué de poésie.
Une vie rêvée.
C’est l’une des forces du cinéma coréen, qui conjugue la gravité des actes de violence avec un effet de réalisme pathétique. Et bien souvent burlesque. Le parcours de notre héros va ainsi bien l’illustrer dans sa brutalité graphique remplie d’hémoglobine. Une violence nette, mais décalée, dans un monde que le réalisateur décrit comme « cruel, chaotique et ridicule ».

Sa cruauté est ainsi représentée par son univers de gangster fait de rancœur et de règlement de compte. Et bien sûr, de profil parfois fantasque. Son chaos, lui, peut se dévoiler par ses chorégraphies d’action particulièrement frénétique. Son point d’orgue s’effectue de plus belles façons à mi-parcours, via un élan de survie galvanisant dans son entrepôt désaffecté. 20 ans après, le film n’a pas pris une ride.
En découle quelques minutes jouissives, qui transpirent d’amour pour le cinéma de genre, à l’instar de son tempo de western exaltant. Ce qui va parfaitement coller avec son surprenant projet suivant – Le Bon, La Brute, Le Cinglé – qui s’inscrit comme une revisite du genre.
A Bittersweet Life est empreint de cette générosité communicative et se révèle sans vrais temps morts. Bien qu’il prenne le temps de poser son action. Dans une seconde partie aux aires de « revenge movie« , il n’hésite donc pas à dépeindre son univers avec d’autant plus de ridicules. Comme le prouve sa tête d’affiche – figure de vengeance – qui essuie pourtant quelques revers non-négligeables dans des confrontations parfois inattendues.

À l’instar des traînées de sang qu’elle laisse dans son sillon, l’intrigue ne néglige pas pour autant sa nature sentimentale. Et ce, même si son profil féminin (Shin Min-a) est bien trop mis de côté par la suite. Néanmoins, avec ces non-dits et une réflexion mélancolique sur une vie rêvée, A Bittersweet Life s’avère assez savoureux dans son mélange des genres.
Conclusion
Et pourtant, demeure l’exercice d’un pur film de genre très maîtrisé sur l’ensemble de ses aspects techniques. Pour un résultat détonant. Notamment après son bain de sang et ces échanges de tir qui fusent de toutes parts. Et menant, invariablement, au carnage. Où la perception idéale de la destruction d’un lieu qui boucle la boucle. Une saveur irrésistible dont seul Kim Jee-woon en a le secret.
Les + :
- Un irrésistible film de genre qui brille par la mise en images sophistiquée de son réalisateur.
- Une ambiance délectable qui se nourrit à la fois du film noir (pour sa violence) et de la fable sentimentale (pour sa poésie)…
- …Ce qui lui donne un tempo idéal qui prend le temps d’installer son suspense et de nous imprégner des différents lieux.
- Lee Byung-hun, dans la peau d’un homme de main solitaire et fidèle qui affronte la mort.
- Des scènes d’action dynamique, lisible, virulente et violente. Qui plus est, parfaitement chorégraphié.
- Sa longue et lente pente glissante, qui mène notre tête d’affiche à une superbe scène survoltée, a mi-parcours. Un moment qui fait encore référence, même 20 ans après.
- Sa bande originale qui appuie et positionne parfaitement le ressenti du tempo dans quelques scènes clés.
- Des ambiguïtés et des non-dits latents qui permettent aux films de s’absoudre de certains clichés.
- Un petit nombre de profils de gangsters, mais bien caractérisés et/ou fantasques.
Les – :
- Un postulat de base qui impose quelques limites naturelles à son déroulement. La preuve, celui-ci s’avère sans grande surprise, malgré un indéniable savoir-faire.
- Une partie sentimentale bien présente, mais par trop petite touche…
- …Le second rôle déterminant de Hee-su le prouve dans une utilisation un peu sacrifiée. (notamment dans la seconde moitié du film).
- Il manque au film un petit aspect satirique qui aurait pu faire mouche.
MA NOTE : 16.5/20

Les crédits
RÉALISATION & SCÉNARIO : Kim Jee-woon
AVEC : Lee Byung-hun…, Kim Young-chul, Shin Min-a, Kim Roi-ha, Lee Ki-young (…)
SORTIE (France) : / DURÉE : 1h59