
The Fall is Full sur Netflix
J’ai beau critiquer — parfois même répugner — sur le contenu du catalogue que propose le mastodonte du streaming, il faut avouer que la plateforme sait encore créer l’événement. C’est ce que démontre la sortie de A House of Dynamite en cet automne 2025, marquant le retour aux affaires de la grande Kathryn Bigelow, huit ans après son biopic un peu boudé Detroit.
La septuagénaire (à qui l’on doit Point Break, on a tendance à oublier) s’est surtout distinguée par deux œuvres majeures et réalistes, situées en territoires de guerre : Démineurs (2008) et Zero Dark Thirty (2012). A House of Dynamite s’inscrit pleinement dans cet héritage tout en transformant le sol américain en territoire de crise — comme dans Detroit — et révèle, une fois encore, un tempo réaliste à glacer le sang.
Lorsqu’un missile de provenance inconnue est lancé sur les États-Unis, une course s’engage pour déterminer qui est responsable et comment réagir.
Fort d’un synopsis concis et percutant — couplé à un casting impressionnant —, le film se montre d’emblée comme un œuvre sans entraves, comme les plateformes de streaming, souvent moins frileuses, savent parfois nous en offrir. Il s’agit surtout du retour tant attendu d’une réalisatrice engagée, pour laquelle cette nouvelle œuvre résonne brillamment avec notre contexte actuel : incertain, tendu, et marqué par la peur. A House of Dynamite se veut à la fois un avertissement et une mise en garde sur les ravages d’une guerre nucléaire.
Mais cette course contre la montre est-elle à la hauteur de ses ambitions et des attentes qu’elle a générées ? Probablement — même si le film laisse derrière lui un sentiment de non-retour glaçant.

Les 19 minutes les plus longues
Avec moins de deux heures au compteur (générique compris), A House of Dynamite adopte une durée resserrée, mais parfaitement adaptée à son sujet et à son sentiment d’urgence. De quoi happer le spectateur sans lui laisser le temps de respirer — exactement ce qu’on attend d’un tel exercice, et ici, difficile d’être déçu.
Pour créer cette instabilité grandissante, le thriller s’appuie sur deux piliers narratifs essentiels : la multiplicité des points de vue et son découpage en trois actes.
L’un comme l’autre permettent à Bigelow d’ancrer la catastrophe dans une dimension profondément humaine : elle confronte l’individu à la réalité d’un désastre à grande échelle. Cette mosaïque de perspectives — militaires, politiques, civiles (ou presque) — compose un tableau redoutable de la panique et de l’incertitude. Le film maintient ainsi une tension constante autour d’une menace invisible, qui pousse les personnages vers une perte de contrôle inévitable.
Le choix de Bigelow, habituée au réalisme nerveux et à la tension palpable, s’impose ici comme une évidence pour retranscrire cette angoisse collective.
Le scénario, signé Noah Oppenheim, se découpe en trois temps : le contrôle, le militaire, et le politique — autant de prismes qui éclairent la crise sous des angles complémentaires et pousse la réflexion sur le pouvoir des institutions en temps de crise. À échelle humaine, mais aux conséquences les dépassant. L’auteur de Jackie ou de la mini-série Zero Day (déjà chez Netflix) démontre ici une maîtrise assurée du contexte politique et du chaos administratif américain tout en posant une question avisée : les procédures sont-elles réellement adaptées à tous les scénarios ? Le film nous prouve bien que non.
Des hommes et des femmes, pour le dernier jour de l’humanité
L’écriture chirurgical d’Oppenheim s’allie à la mise en scène précise et immersive de la réalisatrice pour retranscrire avec justesse l’ampleur d’une crise touchant toutes ses institutions — et tous les individus qui les composent. Petits et grands. Les dilemmes moraux sont donc nombreux, les divergences d’opinions permanentes, les émotions palpables : entre peur pour les proches et devoir de riposte, A House of Dynamite multiplie les fractures.
Le réalisme du film lui confère une tonalité authentique, à la fois sobre et glaçante.
Narrativement, la multiplicité des perspectives offre une clarté bienvenue dans la lecture de la crise. Le montage alterne efficacement entre plusieurs lieux clés — une base en Alaska, le centre de commandement militaire du Pacifique, la Maison-Blanche — tout en ramenant par trois fois le spectateur à des situations du quotidien bouleversées et happer par le surréalisme de la situation.
Le casting, impressionnant, contribue largement à cette immersion. S’y détache naturellement ses deux têtes d’affiche (qui ne le sont pas vraiment) – magnétique au possible. Idris Elba d’un côté, incarnant le Président Américain de manière remarquable et avec empathie, loin de l’effet clown de l’actuel résident à la Maison Blanche, même s’il semble taillé pour amuser les foules. (comme le démontre la situation dans laquelle on l’extirpe à l’écran).
De son côté Rebecca Ferguson compose un personnage qui, comme beaucoup après elle dans le film, doivent concilier : enjeux personnels et rôle dans la crise, sans perdre pied. Des représentations très juste d’une situation qui dépasse en permanence ses nombreux intervenants.
Arrêter une balle avec une balle
Seule véritable ombre au tableau : un éparpillement partiel de certains personnages. À force de multiplier les points de vue, le film frustre parfois, laissant sur le bas-côté des figures qui auraient peut être mérité un développement plus approfondi. Le montage (signé Kirk Baxter, fidèle collaborateur du soucieux David Fincher) fait le choix de la densité fluide plutôt que de la profondeur.
Mais il faut reconnaître que le rythme, précis et calibré, soutient parfaitement la tension du récit sans jamais sombrer dans la répétition puisqu’elle dévoile une escalade inévitable. La lisibilité de la crise, la cohérence des dialogues et la gestion du tempo sont exemplaires. Bigelow et Oppenheim brassent large, peut-être trop parfois, mais parviennent à maintenir une ligne dramatique claire, effrayante et crédible.
Et malgré quelques frustrations sur la densité du récit, le film réussit l’essentiel : nous tenir en haleine jusqu’à la dernière seconde. La bande originale de Volker Bertelmann (oscarisé pour À l’Ouest, rien de nouveau) renforce cette gravité d’ailleurs, même si elle manque de morceaux vraiment marquants.
Conclusion
En somme, A House of Dynamite frappe vite et frappe fort.
En mêlant thriller politique, drame humain et film catastrophe anti-spectaculaire, Kathryn Bigelow signe une œuvre dense, haletante et profondément anxiogène. Son réalisme brut et sa mise en scène d’une sobriété implacable font du film autant un moment de cinéma rare qu’un avertissement nécessaire.
Dans ce sens, sa fin abrupte, volontairement ouverte sur un gouffre de possibilités, pourra rebuter et frustrer, mais fera réagir. Car au fond, ce ne sont pas les réponses qui donnent son sens au film, mais le déroulement : cette sensation d’être au bord du gouffre, témoin d’un monde qui, en un instant, peut basculer.
EN DEUX MOTS : A House of Dynamite s’impose comme un retour puissant et lucide de Kathryn Bigelow, qui conjugue tension, réalisme et réflexion politique avec une maîtrise rare. À travers un montage nerveux, une multiplicité de points de vue et une mise en scène aussi sobre qu’efficace, la réalisatrice signe un thriller d’urgence aux résonances profondément contemporaines.
Malgré quelques personnages sous-exploités et un récit parfois trop dense pour sa durée, le film impressionne par sa cohérence, son rythme et sa capacité à mêler le faux spectaculaire au tragiquement plausible. Un avertissement glaçant, d’autant plus percutant qu’il sonne vrai.
MA NOTE : 16/20

✅ Points forts
- Mise en scène maîtrisée : Bigelow retrouve son sens du réalisme tendu et du chaos contrôlé.
- Tension constante : un film haletant, sans temps mort, où chaque minute compte
- L’incertitude et le suspense qui en découle, parfaitement plausible et qui renforce la crise.
- Structure en trois actes claire et efficace, qui rend la crise lisible et progressive.
- Multiplicité des points de vue donnant une vision globale et humaine du désastre.
- Rythme et montage nerveux (travail remarquable de Kirk Baxter).
- Photographie et ambiance visuelle sobres, quasi documentaires, accentuant la crédibilité.
- Casting solide et crédible, avec un Idris Elba charismatique et une Rebecca Ferguson intense.
- Thématiques fortes et actuelles : peur nucléaire, responsabilité politique, dilemmes moraux.
- Bande originale grave et immersive de Volker Bertelmann, soutenant la tension sans l’alourdir.
- Ton réaliste et anti-spectaculaire, rare dans le cinéma de crise contemporain.
- Message engagé et lucide : une réflexion sur la fragilité des institutions face à la peur et à l’erreur humaine.
⚠️ Points faibles
- Éparpillement narratif : certaines sous-intrigues et figures secondaires manquent de profondeur.
- Trop grande densité de points de vue, qui nuit parfois à l’émotion individuelle.
- Bande originale un peu monotone, manquant de morceaux marquants.
- Fin ouverte, frustrante pour certains spectateurs en quête de résolution nette.
Les crédits
RÉALISATION : Kathryn Bigelow / SCÉNARIO : Noah Oppenheim
AVEC : Idris Elba & Rebecca Ferguson, Gabriel Basso, Jared Harris, Tracy Letts, Anthony Ramos, Moses Ingram, Greta Lee, Jonah Haeur-King, et Jason Clarke (…)
SORTIE (streaming) : 24 Oct. 2025 / Durée : 1h55 / PLATEFORME : Netflix