
Rare sont les séries signée Canal+, ou plus largement issue de la production française, qui parvienne à capter mon attention de manière durable. Pourtant, la chaîne cryptée n’en est pas à son coup d’essai lorsqu’il s’agit de livrer des créations ambitieuses. Sa grande nouveauté de cette fin de rentrée en est la preuve concrète. Avec Les Sentinelles, adaptation libre de la bande dessinée de Xavier Dorison et Enrique Breccia, Canal+ signe une œuvre audacieuse qui réunit de nombreux ingrédients capables de séduire un large public.
Synopsis
Au début de la Première Guerre mondiale, le soldat Gabriel Ferraud, grièvement blessé, est sélectionné pour participer à un programme de recherche ultra-secret de l’armée française qui vise à créer des combattants d’un genre nouveau. Après qu’on lui a inoculé un sérum à l’origine mystérieuse, Gabriel se voit doté de capacités inédites. Désormais plus fort, plus rapide, plus résistant qu’un être humain normal, il intègre une unité d’élite composée de soldats augmentés : les Sentinelles. Mais il est très vite confronté à une réalité terrifiante qui risque de faire basculer le sort de la guerre.
D’après la série de bandes-dessinées Les Sentinelles, de Xavier Dorison et Enrique Brecia, publiés par les Editions Delcourt.
Plongée au cœur de la Première Guerre mondiale, la série adopte un cadre historique fort, teinté d’éléments fantastiques et steampunk rétro-futuristes qui accrochent le regard dès les premières images. L’univers visuel, d’une richesse indéniable, mise sur une esthétique sombre, soignée et immersive, où la boue des tranchées se mêle aux éclats d’une technologie d’un autre temps. La reconstitution minutieuse et l’atmosphère dense participent à cette impression d’immersion totale dans un monde parallèle empreint de mystère et de tragédie.
Les Sentinelles s’impose ainsi comme une production française ambitieuse, ample dans sa mise en scène et sérieuse dans son ton — une série qui bannit toute trace d’humour pour mieux affirmer la gravité de son propos. Ce premier degré assumé exige dès lors une intensité dramatique constante, capable à elle-même de maintenir le spectateur en haleine et de justifier cette posture solennelle. Est-ce une réussite totale pour le spectateur curieux, même sans connaissance de l’œuvre originale ? Pas entièrement. Mais la série laisse entrevoir un potentiel évident, une promesse de s’affirmer encore en gestation, qui mérite qu’on s’y attarde.
Deux ans après son tournage, et fort d’un format concis de huit épisodes n’excédant pas les 42 minutes, la première saison des Sentinelles s’impose comme une mise en bouche concrète — bien qu’imparfaite — d’un univers aussi singulier qu’ambitieux. La série dévoile d’emblée une certaine cohérence dans sa conception : une équipe de trois scénaristes se partage la narration, tandis que deux réalisateurs se répartissent équitablement la mise en scène.
Captain Francesca
Sans révolutionner le genre, mais avec une réelle efficacité, cette première saison adopte une construction classique : deux épisodes d’introduction, un pic d’intensité à mi-parcours, puis une fin plus soutenue. Ce découpage offre l’occasion d’explorer l’univers à travers plusieurs regards, à commencer par celui de son héros principal, incarné avec justesse par Louis Peres. Visage encore méconnu mais au charisme évident, il se révèle idéal dans la peau d’un protagoniste mélancolique, taiseux et rongé par une part d’ombre.
À ses côtés, un trio bien casté campe ses frères d’armes. Leur complémentarité à l’écran fonctionne sans fausse note, chacun parvenant à tirer son épingle du jeu — aussi modeste soit-elle. Mention spéciale à Kacey Mottet Klein, remarquable dans son rôle, qui parvient parfois à voler la vedette au bourru Thibaut Evrard. Dommage cependant que ces compagnons, pourtant si bien incarnés, restent trop peu approfondis dans leur écriture.
La série préfère en effet élargir son spectre narratif, multipliant les points de vue secondaires pour étoffer son univers — au risque de perdre un peu en rythme. C’est particulièrement visible dans les séquences se déroulant au cabaret des “Damnés”, qui ralentissent régulièrement le récit, même si leurs liens avec l’intrigue principale demeure évidente.
Le même constat s’applique à l’intrigue d’Irène (Olivia Ross), l’épouse du héros, dont la quête de vérité enrichit les mystères entourant cette section secrète et expérimentale au cœur du récit. Cet arc se révèle d’ailleurs l’un des plus prometteurs, puisqu’il explore l’origine de la dimension fantastique et rétro-futuriste de la série. Le Dixenal, mystérieuse substance noire conférant leurs pouvoirs aux soldats, interroge autant qu’il fascine : il incarne la notion de sacrifice en temps de guerre, au nom du bien commun.
La zone grise issue de la substance noire.
Sur ce fond historique familier, Les Sentinelles propose une relecture intéressante des rapports de force, esquissant des figures ambiguës, voire antagonistes, dans les rangs français eux-mêmes, plutôt que de se reposer sur l’opposition simpliste contre les “méchants nazis”. Cela n’empêche pas la série d’introduire un super-soldat ennemi, plus proche d’un Dark Vador version steampunk que d’un Captain America torturé.
Heureusement, Les Sentinelles ne tombe jamais totalement dans le piège du mélange des genres casse-gueule, grâce à une atmosphère dense et une mise en œuvre visuelle soignée. Sur le plan esthétique, la série séduit par sa crédibilité et sa maturité, même si certaines scènes d’action manquent de force. Quelques effets spéciaux semblent dissimulés derrière une pénombre omniprésente — effet de style ou camouflage technique ? Peu importe : l’ensemble demeure solide, bien qu’inégal.
C’est à l’instar d’un sérum expérimental qui est loin (trop loin…) d’avoir révéler tout ses secrets ou comme les facultés de nos soldats qui sont sous-exploités à l’écran. Rien de dramatique : mais une accumulation de petits défauts finit par freiner l’immersion. D’autant que la tension dramatique, pourtant au cœur du projet, peine parfois à se hisser à la hauteur de la gravité de l’univers. La disparition de certains personnages au cours de l’aventure en est un bon exemple : bien que cruciales, elles manquent d’impact émotionnel durable.
Conclusion
Avec ses qualités et ses faiblesses, Les Sentinelles a encore du chemin à parcourir pour s’imposer comme une référence dans le paysage sériel français. Mais au vu de ses ambitions et de sa maîtrise visuelle, tous les outils sont là pour convaincre à l’avenir. La fin de saison, ouverte et mystérieuse, élargit encore le champ des possibles, même si elle laisse trop de questions en suspens. Divisera-t-elle le public ? Sans doute. Mais on ne peut que saluer l’audace visuelle et la crédibilité de l’entreprise, qui témoignent d’une volonté sincère d’élever la production française à un niveau rarement atteint.
EN DEUX MOTS : Deux ans après son tournage, Les Sentinelles livre enfin une première saison ambitieuse et visuellement maîtrisée. En huit épisodes denses, la série de Canal+ parvient à imposer un univers singulier mêlant drame historique, fantastique et steampunk rétro-futuriste, le tout sur fond de Première Guerre mondiale. Si sa narration s’étire parfois et peine à maintenir une intensité dramatique constante, la série impressionne par la cohérence de sa création, la qualité de sa direction artistique et la sincérité de son ton. Malgré ses imperfections, cette première saison pose les bases solides d’un récit à potentiel, dont l’univers et les thématiques — transhumanisme, sacrifice et guerre — mériteraient d’être encore approfondis.
✅ Points forts
- Ambition visuelle et direction artistique léchée : décors, costumes et atmosphère immersive plongent le spectateur dans une guerre alternative crédible et sombre.
- Cohérence de la production : équipe de scénaristes et de réalisateurs bien coordonnée, vision d’ensemble claire.
- Casting solide : Louis Peres convaincant en héros tourmenté, Kacey Mottet Klein et Thibaut Evrard plutôt marquants en seconds rôles et le reste de la distribution est suffisamment large.
- Univers riche et singulier : mélange de science-fiction, d’histoire et de mystère, qui confère une vraie identité à la série.
- Thématiques fortes : réflexion sur le sacrifice, le progrès scientifique et les dérives du pouvoir en temps de guerre.
⚠️ Points faibles
- Rythme inégal : quelques longueurs, notamment dans les intrigues secondaires (le cabaret des “Damnés”, la quête d’Irène).
- Manque de profondeur psychologique : certains personnages secondaires restent esquissés, malgré un potentiel évident.
- Scènes d’action parfois timides: mise en scène soignée mais parfois trop contenue, manquant d’impact.
- Tension dramatique inconstante : la gravité du ton n’est pas toujours soutenue par l’émotion ou l’urgence du récit.
- Finale frustrante : ouverture prometteuse mais qui élude plusieurs mystères, laissant une impression d’inachevé.
MA NOTE : 14/20

Les crédits
CRÉATEURS : Guillaume LeMans & Xabi Molia
AVEC : Louis Peres, Thibaut Evrard, Kacey Mottet Klein, Carl Malapa, Olivia Ross, Ouassimi Embarek, Pauline Etienne, Nastya Golubeva Carax, et Noam Morgensztern,
mais aussi : Laïka Blanc-Francard, Sergej Onopko, Nadir Legrand, Maxime Bailleul, Guillaume Arnault, Gabriel Almaer (…)
ÉPISODES : 8 / Durée moyenne : 42mn / DIFFUSION : 2025 / CHAÎNE : Canal+