
Loin du clinquant de la dernière saison anthologique de Monstre, Netflix dévoile une production indépendante taillée pour les Oscars : un drame d’auteur coup de poing porté par l’acclamé Cillian Murphy. Après Oppenheimer, l’acteur retrouve le réalisateur Tim Mielants pour une deuxième collaboration consécutive, et un projet toujours plus intime. STEVE est l’adaptation du roman Shy de Max Porter — et bonne nouvelle, c’est l’auteur lui-même qui signe le scénario.
24 heures dans la vie de Steve, un directeur d’une école qui lutte pour garder ses élèves dans le droit chemin.
L’action se déroule dans les années 1990, précisément en 1996, au sein d’un internat pour garçons en grande difficulté. Le film condense son récit sur une seule journée décisive, autant pour l’établissement que pour ceux qui y vivent. Cillian Murphy y incarne Steve, le directeur, qui tente de sauver son école menacée de fermeture tout en affrontant ses propres démons psychologiques.
En parallèle, on suit Shy (interprété par Jay Lycurgo), l’un des élèves, sujet à des accès de fragilité aussi violents que bouleversants. Ce double regard est particulièrement intéressant : dans le roman, le récit se concentre exclusivement sur l’adolescent. Le film, en élargissant la perspective, gagne en maturité et en portée sociale — mais y perd-il en émotion ? Toute la question est là.

Plongée au cœur d’un drame social.
Steve est assurément un drame pur jusqu’à la moelle, tant il se révèle d’un réalisme saisissant. Qu’il s’agisse de sa vision sociale, humaine, psychologique ou même sensorielle, le film ne triche jamais. Sa tension constante, portée par l’enfermement de son décor et la fragilité de ses personnages, en fait une œuvre dense et viscérale. Sa courte durée (1h30) et son tournage en ordre chronologique accentuent encore cette intensité, comme si chaque minute pesait sur les épaules de ceux qu’elle met en scène.
Mais ce qui frappe avant tout, c’est justement sa mise en scène : embarquée, nerveuse, parfois chaotique, elle favorise une immersion totale — quitte à frôler la saturation. Tim Mielants filme le brouhaha, le désordre et la confusion avec une énergie brute, que viennent heureusement tempérer des coupes franches marquées par des indications horaires aléatoires. Ce montage désordonné, presque instinctif, repositionne sans cesse le spectateur dans le flux des événements, rendant l’ennui impossible. Steve s’appuie ainsi sur une simplicité et une spontanéité qui renforcent le sentiment de réel.
Le film aborde un large éventail de thématiques : l’éducation, la réinsertion, le système carcéral pour adolescents — autant de questions traversées par la santé mentale et le traumatisme, au cœur du double regard qu’il propose. Deux êtres brisés, résignés et fatigués, en souffrance et en colère, évoluent à la lisière de leurs limites, tout comme l’institution qu’ils incarnent face à la pression bureaucratique et au jugement social.
Anatomie d’un effondrement institutionnel intime.
Sur ce point, Steve est une réussite, profondément crédible. Cillian Murphy y livre une performance d’une justesse rare, confirmant qu’il est l’un des acteurs les plus doués de sa génération. Si le film ne bouleverse pas totalement, il émeut par sa fragilité, notamment dans sa manière d’alterner la violence et la tendresse. On y trouve même un moment de grâce absolue : un plan aérien d’une beauté renversante — et c’est dire, venant de quelqu’un qui a horreur du tournage par drone.
Le film éclaire également et parfaitement la tension entre les besoins d’une structure (école, direction, salaires trop bas, horaires trop longs, manque de moyens, enjeux politiques) et ceux, profondément humains, des jeunes qu’elle accueille. On regrettera toutefois que la distribution secondaire soit, à l’image du manoir où se déroule l’action, quelque peu laissée à l’abandon. Seule Tracey Ullman parvient réellement à tirer son épingle du jeu.
Malgré cela, les interprétations restent habitées et sincères. Peut-être le film aurait-il gagné en profondeur en adoptant une approche plus chorale des événements ; un récit sur vingt-quatre heures n’aurait pas nécessairement empêché cette dimension. Mais c’est sans doute son sentiment d’urgence qui prévaut, renforcé par l’usage d’images d’archives particulièrement révélatrices lors de cette journée (et ce moment) pivot.
Enfin, Steve parvient à insuffler quelques bouffées d’espoir à travers ses scènes de cohésion et de vie partagée. Ces instants suspendus laissent entrevoir une humanité persistante dans un univers dur, comme la preuve qu’il reste toujours quelque chose à sauver — malgré les failles, malgré les renoncements, et malgré un système souvent prompt à jeter les âmes avant de leur offrir une seconde chance. Il s’agit assurément d’un beau film, à l’âme pure.
EN DEUX MOTS : STEVE s’impose comme une œuvre rare dans le paysage des productions Netflix : sobre, maîtrisée, profondément humaine. Tim Mielants signe un film d’auteur à la fois rugueux et plein de délicatesse. Cillian Murphy, plus habité que jamais, incarne la figure d’un homme à bout, miroir d’un système en déliquescence et d’une société en perdition. Certes, le film n’échappe pas à quelques limites — notamment dans le développement de ses personnages secondaires ou une certaine froideur émotionnelle héritée de son réalisme brut —, mais il demeure une proposition d’une intensité rare. Notamment visuelle. Le film ne cherche ni la complaisance ni la surenchère : il observe, il écoute, il retient.
MA NOTE : 15/20

Les crédits
RÉALISATION : Tim Mielants / SCÉNARIO : Max Porter
AVEC : Cillian Murphy…, Jay Lycurgo…, Tracey Ullman, Little Simz, Tut Nyuot, Joshua J. Parker, Youssef Kerbour, avec Roger Allam, et Emily Watson (…)
SORTIE : 03 Oct. 2025 / DURÉE : 1h33 / DIFFUSION : Netflix