Dans le cadre de mon (re)visionnage de plusieurs séries limitées HBO durant l'été (et la sortie de la plateforme MAX en France), THE NIGHT OF boucle la boucle. En effet, 4 ans avant THE OUTSIDER (mon premier coup de cœur revisionné), Richard Price était déjà à l'œuvre de cette mini-série qui s'inscrit comme un classique du catalogue HBO. Pour l'occasion, refonte totale de ma critique, après un bing-watching qui s'est avéré divin.
EN DEUX MOTS : Tandis que la concurrence est féroce, et que la chaîne câblée américaine la plus prestigieuse change de direction (et de directeur des programmes), on pouvait s’interroger sur la qualité de la nouvelle production made in HBO. Pas d’inquiétude au final, le mastodonte reste le maître en la matière et propose probablement la meilleure mini-série de l’année 2016.
Contrairement à son concurrent, FX, qui, au printemps proposait un drame judiciaire inspiré des faits réels, avec American Crime Story, HBO mise, elle, plus simplement sur une fiction intemporelle. Plutôt que de faire dans le grandiose, elle s’efforce d’être au plus près de la réalité, et sème le doute dans la tête du téléspectateur. Comme le ferait une affaire criminelle ou les preuves indirect s’accumulent envers l’accusé.
Au lendemain d’une virée nocturne bien arrosée, le jeune Naz, d’origine Pakistanaise, se réveille aux côtés d’une jeune femme baignant dans son sang. Cette dernière a été poignardée et il ne se souvient de rien. Inculpé pour ce meurtre, il est désormais prisonnier du système judiciaire où, parfois, la vérité passe au second plan. Un avocat bon marché mais tenace se propose de l’aider.
Allociné
À l’origine du projet, en 2013, l’immense James Gandolfini devait incarner le rôle de l’avocat chargé de la défense. Suite à la disparition tragique de l’acteur, la production à était mis à mal. Finalement, celle-ci et la chaîne (tout d’abord réticente), mettent en marche le projet qui s’inspire d’une mini-série britannique – Criminal Justice – datant de 2008. À la tête de ce projet, on trouve deux (grands) hommes aux travaux… d’envergure.
Le premier, Steven Zaillian, est plus connu pour sa carrière de scénariste que de réalisateur. (Il a notamment écrit les scénarios d’American Gangster, Gangs of New York ou Millénium (US)). Pourtant, et même s’il co-signe plusieurs scripts, c’est bel et bien à la réalisation qu’il s’attèle en mettant en scène 7 des 8 épisodes. (Le solide James Marsh réalise quant à lui le quatrième épisode). Deux réalisateurs du grand-écran qui mettent donc en scène une histoire largement remaniée sous la plume de Richard Price. Second showrunner et écrivain de roman noir qui s’illustre dans cette sombre intrigue urbaine.
Entre l’ombre et la lumière… L’éclairage compte peu.
New York est tentaculaire. Sombre, immense, intimidante, et parfois aussi gris que ses rues, ses bâtiments (prison, tribunal, commissariat…) ou l’âme de ses habitants. C’est dans ce contexte urbain, qu’ils maîtrisent à la perfection, que les showrunners établissent la prison (puis les rouages) qui servira de décor au jeune Nasir (Riz Ahmed). Acteur britannique d’origine pakistanaise (également) qui s’est, dès lors, immerger dans son personnage grâce à un travail de terrain approfondi.
Méthodiquement, THE NIGHT OF nous plonge de ce drame sans nous lâcher durant plus de deux heures. Pour commencer. Avec un épisode pilote d’1h20 puis une continuité conséquente d’une heure par la suite (et avant un final monstrueux d’1h35 !), la mini-série ne manque pas de contenu pour dévoiler ses différentes parties.
La rencontre de « Naz » avec la future victime (Sofia Black-D’Elia, envoûtante et paumée) puis leur courte idylle fonctionnent tout aussi bien que la succession d’erreurs qui vont mener à l’incarcération du jeune homme. Dès lors, le show établit sa logique par son réalisme. Ce pilote s’impose d’ailleurs (presque ou assurément, c’est tout à chacun) comme son meilleur épisode. C’est à la fois frustrant, mais nécessaire vu l’importance qu’à cette « nuit ou » sur le reste de l’intrigue. Néanmoins, les nuances seront légion, et malgré un certain classicisme, ce drame policier pourra compter sur la rigueur de ses showrunners.
Les trois premiers épisodes nous embarquent donc dans un déroulement d’un pragmatisme effrayant. Fait de mauvais choix, de racisme systémique et de descente aux enfers juridique. Son milieu de saison dresse peu à peu le profil de l’accusé et en parallèle son acclimatation en prison, puis ses trois derniers épisodes, plus judiciaire, clôture le parcours des différentes parties concernés. Et attention, car ici, la magie narrative prend vie grâce à une distribution de haute volée et méthodiquement exploitée. Sans surplus.
Les rouages de la justice.
Le profil de Naz laisse peu à peu la place à son avocat, John Stone (John Turturro). Un avocat décrit comme « bon marché », dans ses méthodes et son apparence, mais qui ne manque pas d’esprit logique. De plus, l’intrigue évite certains stéréotypes, ce qui apporte plus de nuances au personnage. Seul son exéma ciblé, ses allergies aux chats ou la légère description de sa vie personnelle sont réellement présente pour donner plus de corps (et d’humanité) à son profil atypique. Un profil fatalement attachant et qui servira de tampon avec les différentes parties de l’affaire.
Ses rouages se composent de quelques profils idéals. Qu’ils soient éphémères (ses flics désabusés ou ses témoins ambigus) jusqu’à primordiaux dans l’enquête. Très vite, le rôle de l’inspecteur rigoureux et proche de la retraite en impose, sous les traits du pourtant très commun, Bill Camp. Défini comme un ogre subtil, éclairer puis écarté avant son final, son personnage est l’exemple type de ses meilleurs rouages. Ceux de la justice qui tournent, tournent, inlassablement. Quitte à broyer tout ce qui s’y glisse.
Pourtant, y persiste une nuance constante dans son mécanisme. Pour preuve, sa partie juridique n’est pas exempte de personnages passionnants. Chose qu’on peut vérifier via une procureure coriace (Jeannie Berlin), une avocate d’apparence douce (Glenne Headly), mais tranchante, ou celle de la débutante (Amara Karan), choisie par facilité, mais qui va peu à peu trop s’impliquer pour survivre à l’affaire. Dans sa finalité, seuls les plus chevronnés survivent à ce système, tandis que les autres y sont moulinés.
Ce qui nous amène à sa partie carcérale, dans la prison de Rikers. Une autre plongée dans l’horreur du système, où survivre implique de grands sacrifices. Naz les faits, sous l’influence d’un détenu charismatique (Michael Kenneth Williams, parfait). Drogues, tatouages, mule, passage à tabac, viol, meurtre…
CONCLUSION
À l’image des rouages de la justice et de toutes les parties qui la composent, THE NIGHT OF nous démontre ainsi, aussi brillamment que froidement, comment un individu peut se faire broyer par ses rouages. Broyer, avaler puis recracher pour laisser la place à quelque chose de briser. Le profil de Naz à la fin de la série le démontre plutôt clairement dans ses addictions. Une fin aussi triste que… réaliste. Malgré une vision austère de ses événements, cette série limitée ne nous épargne rien au prix de ce réalisme indispensable.
Elle le fait avec beaucoup d’aisance et une grande maîtrise de sa mise en scène. Comme le démontre le travail conjoint de ses deux showrunners, elle se distingue également par la fluidité de son montage. Ainsi, ce second visionnage m’a épaté dans un déroulement sans longueurs, méthodique, puisqu’il ne s’attarde pas d’un quelconque remplissage inutile à sa narration.
Sur une durée totale qui avoisine les 9 heures, surtout pour son genre, c’est un petit miracle. Ou tout simplement un prodigieux drame, gris comme son système carcéral et judiciaire qu’il représente si bien ici. C’est aussi un drame urbain percutant, élégant et rythmé. L’exemple parfait d’une production HBO type, qui respecte ses engagements de qualités : script, authenticité, et limpidité.
Les + :
- L’association de deux vétérans du polar qui chapeaute à eux deux la (quasi) totalité de cette série limitée made in HBO. Scénario et réalisation.
- Un remake d’une série criminelle anglaise qui s’inscrit comme une refonte totale et tentaculaire sur les rouages de la justice américaine.
- Méthodiquement, les pièces qui composent ses rouages (des plus petites aux plus grosses) tournent et se dévoilent via quelques profils nuancés. Peu, mais parfaitement définis dans leurs utilisations distinctes.
- Une distribution exemplaire. De la nonchalance de John Turturro, à l’innocence perdu de Riz Ahmed jusqu’à la force naturelle et blasé de Bill Camp.
- La ou la vérité ne compte pas, ou peu, ses rouages tournent et broient des individus. Et par extension, leurs familles. Le parcours de Naz, dans sa finalité, en est l’exemple le plus concret.
- La fluidité et le rythme soutenu de son ensemble. Presque 9 heures de polar répartis avec précision sur 8 épisodes, sans longueurs apparente et avec un réalisme frappant.
Les – :
- Un certain classicisme, dû à son sens du réalisme, mais qui l’empêche de surprendre malgré sa force brute.
- Des nuances à mi-saison sur le profil de l’accusé qui aurait, peut-être, dû mériter un chamboulement dans l’équilibre du show. De plus, la transformation de Naz en prison est un brin rapide dans ses multiples dérives.
- Après un pilote fracassant, suivi d’un déroulement sous forme de spirale juridique infernale, son final peine à retrouver cette force de frappe. Malgré la logique amère qui conclut le show.
MA NOTE : 17/20
Les crédits
CRÉATEUR(s): Richard Price & Steven Zaillian
AVEC : John Turturro & Riz Ahmed…, Michael Kenneth Williams, Bill Camp, Jeannie Berlin, Amara Karan,
Peyman Maadi, Poorna Jagannathan, Glenne Headly, Paul Sparks, Sofia Black-D’Elia, Glenn Flescher, Paulo Costanzo (…)
ÉPISODES : 8 / Durée (moyenne) : 1h05mn / DIFFUSION : 2016
GENRE : Drame, Policier, Judiciaire / CHAÎNE DE DIFFUSION : HBO